ANALYSES

Sanctions américaines contre l’Iran : « On peut regretter une certaine ‘faiblesse’ politique de l’Europe, qui semble moins résister »

Presse
5 novembre 2018
Interview de Thierry Coville - France info
Quelles formes prennent ces sanctions ?

L’idée américaine est de bloquer toute relation économique et financière avec le reste du monde. Elle se concentre particulièrement sur le secteur pétrolier, et petit à petit, ils vont imposer un embargo pétrolier total contre l’Iran, et ça pourrait être décisif, car le pétrole, c’est décisif pour l’économie iranienne. Cela représente 80% des exportations et au moins 40% des recettes de l’État.

L’économie iranienne ne va pas très bien. Historiquement, il y a eu l’accord sur le nucléaire de juillet 2015, la levée des sanctions liées au nucléaire début 2016. L’économie iranienne était quand même repartie, la croissance était forte, l’inflation avait ralenti, et avec la sortie des accords sur le nucléaire des États-Unis en mai dernier, ils ont déjà imposé un début de sanction début août. Là, ils mettent la pression maximale avec toutes les sanctions possibles qu’ils peuvent envisager contre l’économie iranienne qui sont réinstallées dès aujourd’hui.

Est-ce potentiellement catastrophique pour l’économie ?

On va voir. Catastrophique, tout dépend ce que l’on entend. Déjà, depuis les menaces américaines en octobre, sur le marché des devises parallèles en Iran, le dollar s’est apprécié de 280% contre la monnaie iranienne. Donc c’est énorme, il y a un effondrement de la monnaie iranienne, et on commence à voir un début d’accélération de l’inflation en Iran, officiellement elle atteindrait 15 à 20%, peut-être un petit peu plus en réalité. Sans doute qu’elle va accélérer parce que ça coûte plus cher d’importer de l’étranger, et la croissance va tomber, donc on peut s’attendre à une inflation autour de 30 à 40%, et une économie sans doute en récession l’année prochaine.

Psychologiquement c’est très dur pour les Iraniens parce qu’il y avait beaucoup d’espoir avec l’accord de 2015, les gens espéraient beaucoup. Peut-être qu’ils attendaient trop, mais c’est normal puisqu’ils avaient beaucoup déjà souffert quand les sanctions avaient été appliquées en 2012. Donc, oui, il y a une énorme déception dans la population iranienne.

Le président iranien promet de contourner fièrement ces sanctions américaines, que faut-il comprendre ?

L’objectif du gouvernement iranien est de maintenir le plus possible les exportations pétrolières. Ce qu’on voit n’est pas un hasard. Initialement, les Américains avaient pensé à imposer un embargo total sur le pétrole iranien, mais ils viennent de dire qu’ils accordent des extensions à huit pays, notamment la Chine et l’Inde. Il y a la légitimité de la position américaine, et on peut regretter une certaine « faiblesse » politique de l’Europe, qui semble moins résister, car il semblerait que les entreprises européennes vont complètement arrêter d’acheter du pétrole iranien.

L’Inde ne pourrait pas se passer de pétrole iranien, pour une question de prix. Les Indiens ont dit aux Américains « d’accord, mais trouvez-nous un pétrole aussi bon marché que le pétrole iranien », et les Américains n’ont pas trouvé. Si les Indiens résistent, les Chinois résistent aussi puisqu’ils ont leur propre monnaie, et les Américains ont accepté ! Ils ont dit que les Chinois et les Indiens pouvaient commercer avec l’Iran en ouvrant un compte et en important des produits iraniens. Pourquoi l’Europe ne ferait-elle pas la même chose ? Je pense qu’il doit y avoir un problème politique, et puis cette question de coût. Le pétrole iranien est le moins cher du marché.
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