ANALYSES

Brésil : au secours l’extrême-droite revient ?

Tribune
4 octobre 2018


Un étrange branle-bas agite les médias depuis quelques jours. À l’approche du 7 octobre, date du premier tour des élections présidentielles. L’extrême-droite, nous disent-ils, est aux portes du pouvoir au Brésil. Une extrême-droite qui a un nom bien identifié, l’ex-capitaine, Jair Bolsonaro, en tête dans les sondages pré-électoraux, avec 31% des intentions de vote.

Tardive mobilisation en effet, contre un candidat qui bat la campagne depuis déjà plus de deux ans. Le 16 avril 2016, le député Jair Bolsonaro, avait justifié de façon particulièrement crue et brutale son vote de destitution de la présidente élue en 2014, Dilma Rousseff. Il n’avait rien dit comme ses collègues à propos du crime constitutionnel qui officiellement prétendait donner un fondement juridique minimal au vote. Il s’agit, a-t-il dit, ce jour-là de couper court au péril communiste, à la menace que ferait peser sur le Brésil le Forum de São Paulo (assemblée de partis de gauche latino-américains), et de rappeler le rôle positif joué par le colonel Carlos Alberto Brilhante Ustra, officier « inquisiteur » pendant la dictature militaire.

Depuis, il a creusé son sillon élargissant le périmètre de sa profession de foi. Il a commencé par afficher des convictions évangélistes. Il a, le 11 mai 2016, ressourcé sa foi chrétienne dans les eaux du Jourdain, en recevant le baptême d’un pasteur adepte de la théologie de la prospérité, Everaldo Pereira. Les ralliements religieux depuis se sont accélérés, d’Edir Macedo, fondateur de la puissante Église universelle du Royaume de Dieu, à « l’évêque » Robson Rodovalho, de la confession, « Sara Nossa Terra ». Puis il a, de mois en mois, précisé les contours d’un programme sécuritaire de tolérance zéro. Affirmation de virilité assortie de comportements misogynes assumés publiquement. Deuxième priorité, en cohérence avec ses convictions religieuses, il a condamné de façon parfois grossière le droit à l’avortement, au mariage de personnes de même sexe, à l’éducation sexuelle, à la parité salariale entre hommes et femmes.

La crise sociale, fruit de la détérioration de l’économie et des mesures d’austérité prises par le gouvernement du président de fait, Michel Temer, a gravement détérioré la paix intérieure. Jair Bolsonaro au fil de cette détérioration a durci son discours. Désignant le Parti des travailleurs (PT), comme bouc émissaire du crime, et prônant les réponses les plus sévères, allant jusqu’à encourager l’exécution des délinquants par les forces de l’ordre.

Ce discours a été toléré par un pouvoir aux abois, sans légitimité, constitutionnelle, et démocratique. Ce laisser-faire était compatible voire, avec les actions menées par ailleurs pour empêcher l’ex-président Lula de se représenter et le PT, d’être en situation de relever le défi électoral de 2018. Le terrain ainsi libéré, pensait-on à Brasilia et São Paulo, il serait toujours temps de se débarrasser de l’ex-capitaine et de construire avec l’aide des médias télévisuels une candidature agréant les milieux financiers et agro-exportateurs. Celle de Geraldo Alckmin (PSDB).

Ce scénario a libéré une extrême-droite jusque là contrainte par les séquelles de la dictature militaire. Elle avait fait son apparition en 2013 mêlant sa voix à celle des protestataires étudiants. Né sur les réseaux sociaux, le MBL (Mouvement Brésil Libre) a rejoint Bolsonaro et a accompagné la réhabilitation politique et morale du régime militaire de 1964. Tout comme l’avocate Janaina Paschoal pasionaria de la destitution de la présidente, Dilma Rousseff. Inquiets des velléités manifestées par Dilma Rousseff de mise en place d’une Commission de la vérité sur les crimes commis pendant les années noires, des officiers retraités ont rejoint ce mouvement. Non sanctionnés, ils ont été accompagnés de façon croissante par des collègues d’active. En particulier par le Commandant en chef des forces armées, Eduardo Villas Boas.

L’absence d’autorité démocratique a ouvert une brèche institutionnelle. Jair Bolsonaro revendique à longueur de déclarations les bienfaits de la dictature. L’armée est à nouveau associée à l’exercice du pouvoir. Les militaires nostalgiques de la dictature seraient selon le dernier ministre de la Défense de Dilma Rousseff, Celso Amorim, minoritaires. Peut-être et même sans doute. Cela dit, un général a été nommé ministre de la Défense, pour la première fois depuis 18 ans. Le Commandant en chef des forces armées exerce de fait une tutelle sur l’autorité judiciaire, intimement associée au coup d’État parlementaire.  L’ex-chef d’État-major de l’armée a été recruté comme conseiller spécial par le président du Tribunal suprême. Le président Michel Temer a fait appel à l’armée dans des opérations de maintien de l’ordre à Brasilia et à Rio.

Jair Bolsonaro a bien surfé sur le trou d’air politique qui a emporté les espoirs de l’établissement brésilien et de son candidat présidentiel Geraldo Alckmin (PSDB) qui plafonne à 8-9% des intentions de vote. Les classes dites moyennes, qui au Brésil représentent la couche aisée de la population, sont en train de se fracturer. Le porte-parole du PSDB au Congrès des députés, Nilson Leitao, a publiquement fait savoir son ralliement à Jair Bolsonaro. Jair Bolsonaro a en effet adopté le programme de privatisations et d’ouverture au capital étranger du gouvernement Michel Temer et du PSDB. Il reste bien sûr tout l’aspect sociétal qui heurte les classes moyennes « libérales ». L’appel à manifester le 29 septembre contre Jair Bolsonaro lancé sur Facebook par des féministes issues de ces milieux n’était accompagné, à huit jours du vote, d’aucune consigne électorale. Le PT, parti des pauvres, et des descendants d’esclaves est diabolisé par les grands médias et les partis représentatifs des « classes moyennes ».

L’Université de São Paulo a sondé les manifestants du 29 septembre. 62% étaient des femmes blanches, 86% des personnes ayant un cursus universitaire, 78% âgés de 18 à 44 ans. Selon le sondeur Ibope, 42% des électeurs de Jair Bolsonaro sont des personnes jeunes, ayant un niveau de formation élevé, et des revenus équivalents à 5 salaires minimum.

Les électeurs pauvres, noirs, et de formation primaire, ont eux fait le choix, pour barrer la route à l’ex-capitaine Jair Bolsonaro. Ils n’ont pas manifesté le 29 septembre. Ils s’apprêtent à voter Fernando Haddad (PT). Depuis le 31 août, Fernando Haddad est ainsi passé de 9% des intentions de vote à 24%.
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