ANALYSES

Pétrole : pourquoi les Etats-Unis vont devoir gérer avec précaution leur statut de premier producteur mondial

Presse
4 octobre 2018
Interview de Francis Perrin - Atlantico
Cette situation est-elle amenée à s’accentuer alors que l’EIA estime que le pays serait en capacité de produite 17 millions de barils / jour d’ici 2023 contre 11 millions à ce jour ?

Lorsque l’on parle de production pétrolière, il y a différentes définitions possibles. Soit on ne retient que le pétrole brut, soit on ajoute au brut d’autres liquides, qui sont associés au gaz naturel, soit on a une notion encore plus large des liquides où on inclut en plus les biocarburants, etc.
L’important est donc de préciser ce à quoi on fait référence.

Actuellement les États-Unis sont incontestablement le premier producteur au monde, devant la Russie et l’Arabie Saoudite dans cet ordre, pour les deux définitions plus larges évoquées ci-dessus. Ils ont même une large avance sur ces deux autres pays. Par contre, si l’on ne prend en compte que le pétrole brut, la production des États-Unis était estimée à 10,9 millions de barils par jour (Mb/j) en août, soit un peu moins que la Russie et un peu plus que l’Arabie Saoudite. Mais il est très probable que les États-Unis seront le numéro un dans toutes les catégories dès 2019. Cette domination se prolongera effectivement pendant plusieurs années car la production américaine est sur une tendance haussière depuis une dizaine d’années grâce au pétrole non conventionnel et le potentiel de hausse n’est pas épuisé. Les États-Unis vont donc creuser l’écart dans les prochaines années par rapport à leurs plus grands concurrents.

Quelles sont les capacités de la « concurrence » saoudienne et russe en la matière ?

Pour la Russie, la marge de manœuvre à court terme est limitée car ce pays produit quasiment à pleine capacité. Le cas de l’Arabie Saoudite est différent car le royaume ne produit pas à 100% de ses capacités et, ce, de façon tout à fait délibérée. L’Arabie Saoudite fait partie de l’OPEP et les décisions sur son niveau de production s’inscrivent dans des négociations au sein de cette organisation qui regroupe 15 pays exportateurs de pétrole. Or, ces pays ne tiennent pas à ce que les prix du pétrole baissent fortement car cela affecterait négativement leurs revenus. En même temps, la hausse des prix du brut (le Brent de la mer du Nord était entre $86 et $87 par baril hier à Londres) mécontente beaucoup le président Trump qui appelle à grands cris l’OPEP et l’Arabie Saoudite à produire plus pour faire baisser les cours du brut et les prix des carburants. Cela dit, dans tous les cas de figure, les États-Unis seront le leader dans les prochaines années.

Quelles pourraient être les conséquences de cette situation dans la relation tripartite entre les trois principaux producteurs ? L’enjeu pour les Etats-Unis ne serait-il pas de mettre « un coin » dans la relation entre Moscou et Riyad ?

Les États-Unis et l’Arabie Saoudite sont des alliés stratégiques depuis 1945 au moins et cette alliance n’est absolument pas remise en question par les évolutions pétrolières que nous évoquons. L’hostilité de Washington et de Riyad envers Téhéran contribue à renforcer ce partenariat stratégique qui existe depuis plus de 70 ans et qui repose sur trois mots clés: pétrole contre sécurité. Certes, la montée en puissance du pétrole non conventionnel des États-Unis représente un défi pour l’Arabie Saoudite et pour l’OPEP mais ils sont obligés de se faire une raison.

La coopération entre la Russie et l’Arabie Saoudite est d’une nature différente. Elle est très récente et découle de la volonté de ces deux États d’améliorer la régulation du marché pétrolier mondial. Moscou et Riyad entendent institutionnaliser cette coopération ainsi que celle entre l’OPEP et dix pays non-OPEP qui ont réduit conjointement leur production entre le 1er janvier 2017 et le 1er juillet 2018 avant de l’augmenter il y a trois mois. Cette coopération ne peut faire de l’ombre au partenariat stratégique entre les États-Unis et l’Arabie Saoudite.
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