ANALYSES

Océan Indien : quelle sécurité maritime ?

Tribune
26 septembre 2018
par Dr. Patrick Ferras, directeur de l'Observatoire de la Corne de l'Afrique, enseignant à IRIS Sup'


L’océan Indien est un des hauts lieux stratégiques de la planète. La juxtaposition des routes maritimes (dont les nouvelles routes de la soie) et l’implantation de bases militaires majeures (Diego Garcia, Djibouti, Doha) nous le rappellent fréquemment. La concentration des forces navales internationales ou nationales est importante et elles tentent de lutter contre les trafics en tous genres. Les nombreux États qui ceinturent cet océan ne doivent pas faire oublier qu’il existe des Îles dont l’importance est concrétisée par la Commission de l’océan Indien[1] (COI). Maurice, Seychelles, Madagascar, l’Union des Comores, mais aussi La Réunion (France) forment un ensemble discret, mais dont le poids politique s’affirme au travers d’initiatives régionales notamment pour la lutte contre les menaces maritimes.

Une sécurité maritime aux mains des acteurs extérieurs

Les architectures de sécurité maritime se mettent en place en fonction des menaces. Si le détroit de Malacca concentre une activité forte de piraterie et de trafics, les acteurs régionaux se sont donnés les moyens depuis plusieurs années de diminuer les conséquences de telles dérives. Dans le golfe de Guinée, la menace est moindre, mais petit à petit les pays de la région mettent en place des centres de coordination, d’intervention. Jonction entre Malacca et l’océan Atlantique, l’océan Indien a tardé à créer sa propre architecture. Si le Code de conduite de Djibouti[2], a été une initiative intéressante, il restait en dessous des besoins globaux en sécurité de la région d’autant que le contrôle des espaces maritimes est assuré, dans une large mesure, par les forces étrangères (internationales, otaniennes, nationales).  Nous pouvons constater une baisse des actes de piraterie dans la région, mais elle s’est faite sans une réelle implication africaine directe et conséquente.

L’appropriation régionale se devait d’être large et ambitieuse.  Le regroupement du Kenya, de la Tanzanie, du Mozambique, de Djibouti, de la Somalie, de Maurice, des Seychelles, de l’Union des Comores et de Madagascar au travers du programme MASE qui couvre l’Afrique orientale et australe et l’océan Indien (AfOA-OI) correspond à cet objectif.

Le programme MASE

La coordination du programme MASE est réalisée par l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) en étroite collaboration avec d’autres organisations régionales chargées de la mise en œuvre des activités. L’Union européenne est le bailleur de fonds (37.5 millions d’euros). Les autres partenaires techniques du programme sont l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC), Interpol et l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

La liste des pays cités supra met en jeu quatre organisations régionales : l’IGAD, le Marché commun d’Afrique australe et orientale (COMESA), la Commission de l’océan Indien (COI) et la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC). Le programme régional fonctionne sous forme de « domaines de résultats » attribués à chacune des régions. Le résultat 1, géré par l’IGAD, concerne les initiatives promouvant des moyens de subsistance alternatifs à ceux issus de la piraterie et autres trafics. L’IGAD soutient activement la création des Comités de coordination de la sécurité maritime (MSCC) en Somalie. L’EAC coordonne le résultat 2 qui vise à renforcer les capacités nationales et régionales dans les domaines de l’arrestation, le transfèrement, la détention et le jugement des individus suspectés d’actes de piraterie. Le résultat 3, mené par le COMESA, a pour objectif d’interrompre les flux financiers illicites et de lutter contre le blanchiment d’argent. C’est à la COI que revient la responsabilité de mettre en œuvre les résultats 4 et 5 qui concernent les capacités nationales et régionales d’action en mer. Deux accords ont été signés lors de la réunion ministérielle d’avril 2018[3]. Ils vont permettre l’opérationnalisation des deux mécanismes régionaux de sécurité maritime, le premier portant sur l’échange d’information et le second sur la coordination d’opérations relevant de l’action de l’État en mer. Ils s’appuient respectivement sur un centre régional de fusion d’informations maritimes (CRFIM) à Madagascar et un centre régional de coordination opérationnelle (CRCO) situé aux Seychelles. Les missions du CRFIM sont de recueillir, fusionner et analyser les informations en provenance de multiples sources[4] afin d’établir la situation maritime de la région. Le CRCO est chargé d’assurer les interventions en s’appuyant sur les centres opérationnels nationaux. Grâce à ces deux centres, on assiste à la montée en puissance d’un mécanisme régional pour lutter contre les crimes et délits en mer.

Pour acquérir la pleine capacité opérationnelle, un officier de liaison de chaque État signataire sera affecté dans les deux centres et de nombreux exercices sont programmés.

Potentialités et limites du programme MASE

Le programme MASE cadre parfaitement dans la Stratégie maritime intégrée de l’Union africaine (2050). La mise en œuvre des deux centres permettra à l’AfOA-OI de s’approprier la sécurité maritime et de petit à petit prendre la main à la place des marines de guerre étrangères. Les États parties prenantes du programme MASE confrontés à la piraterie et à d’autres crimes et menaces maritimes devraient montrer un intérêt croissant pour ce mécanisme régional.

Toutefois, il restera à définir sous quelles formes les pays de la région souhaitent acquérir des moyens navals, à l’heure actuelle encore trop limités pour des interventions H24 en mer. Une solution pourrait être de s’engager dans des investissements régionaux, car les budgets nationaux sont trop faibles. D’autre part, les stratégies nationales et régionales gagneraient à être harmonisées pour plus de cohérence.

Le programme MASE permettra, dans les prochaines années, à la région AfOA-OI de s’approprier la sécurité maritime, notamment grâce à l’octroi de matériels aux bénéfices des Centres régionaux de Madagascar et des Seychelles sur les ressources du 10e Fonds européen de développement. Basé sur un « partenariat solide en faveur d’un espace maritime sûr et sécurisé [5]», il ouvre des perspectives encourageantes dans la capacité des organisations économiques régionales à s’unir sur un même objectif. Les États insulaires africains s’affirment comme locomotive de l’investissement dans la maîtrise des espaces maritimes pour le développement économique de l’Afrique.

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[1] La COI est la seule organisation intergouvernementale d’Afrique composée exclusivement d’îles. Elle regroupe, depuis sa création il y a 35 ans, Madagascar, Maurice et les Seychelles auxquels se sont joints les Comores et la France au titre de La Réunion en 1986.  Les Seychelles et Maurice sont les deux États africains dont le PIB/hb est le plus élevé.

[2] Le Code de conduite de Djibouti est un arrangement entre plusieurs États et organisations régionales et internationales. Il est déterminant pour la répression des actes de piraterie et vols à main armée à l’encontre des navires dans l’océan Indien occidental et le golfe d’Aden (www.imo.org). Il a été amendé en 2017 à Jeddah, Arabie Saoudite.

[3] « Les signataires des deux accords MASE sont l’Union des Comores, la République de Madagascar, la République de Maurice, la République des Seychelles, la République de Djibouti. D’autres États de la région sont appelés à adopter ces accords ».

[4] Notamment des centres nationaux.

[5] http://commissionoceanindien.org/fileadmin/resources/MASE/Brochure_MASE_FR_LR_V3.pdf.
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