ANALYSES

« Le Venezuela un caillou dans la chaussure des USA »

Presse
15 septembre 2018
Vendredi, le président vénézuélien Nicolas Maduro s’est rendu à Pékin. Loin des éructations des puissances occidentales sur la dérive du régime bolivarien, la Chine entretient en effet de bonnes relations avec le successeur de Chavez. Pour nous éclairer sur les nombreuses attaques à l’encontre de Caracas, l’interview de Christophe Ventura, spécialiste de l’Amérique Latine à l’Institut de relations internationales stratégiques (Iris).

Vous dites que la crise vénézuelienne est multi-factorielle. Pouvez-vous tout d’abord décrypter son versant économique ?

Le premier point est de comprendre que l’on parle d’un pays du Sud dont les ressources dépendent exclusivement de l’exploitation et l’exportation d’une seule ressource : les hydrocarbures. Depuis qu’il est entré dans le XXe siècle, le Venezuela est prisonnier de cette économie de rente. Si la révolution bolivarienne a été copernicienne, car elle a profondément bouleversé la répartition de la richesse en faveur des classes populaires, elle n’a pas changé les structures de l’économie, ni diversifié l’appareil de production. Ceci posé, la genèse de la crise est dans l’onde de choc que la crise économique mondiale a eu sur ce pays. Il y a eu un affaissement de demande mondiale de pétrole et l’effondrement des cours du baril. Entre 2013 et 2014, le pétrole a perdu 70% de sa valeur. Quand, comme au Venezuela, 95% des ressources sont liées au pétrole, on perçoit bien l’impact.

Le Venezuela est aussi confronté à un problème monétaire ?

En 2003, le pays a instauré un contrôle des capitaux. Un coup d’État a eu lieu l’année précédente, un bras de fer oppose le gouvernement au secteur privé pour le contrôle de la compagnie pétrolière… Chavez est confronté à une opposition très dure et prend cette décision pour éviter que le secteur privé organise une fuite des capitaux pour mettre le pays à terre. Le système a apporté des solutions, mais aussi créé des problèmes, comme le marché noir et la spéculation. Des phénomènes connus, car ils ne sont pas propres au Venezuela, l’Argentine ayant le même problème. Tout ceci se produit de plus dans un moment de trouble politique à la faveur du décès inattendu de Chavez. On est depuis dans une crise politique avec une opposition qui ne reconnaît pas la légitimité du pouvoir et un pouvoir qui se durcit, considérant cette opposition comme séditieuse. On a une polarisation politique permanente qui ne permet pas au gouvernement de régler la crise économique.

Quel est l’impact des sanctions étrangères ?

Entre 2013 et 2015, le pays va être secoué par des moments très tendus. Obama considère alors que le Venezuela est une menace pour la sécurité intérieure. Une analyse… osée, mais qui donne lieu à un décret présidentiel. Ce qui permet de mettre en place des sanctions, voire un embargo ou une intervention militaire. Au départ graduelles, les sanctions se sont renforcées sous Trump. Depuis 2016, elles coupent le Venezuela de tous les circuits financiers bancaires et commerciaux internationaux. Soit quasiment un embargo pour un pays qui vit essentiellement de ses exportations de pétrole et importe sa nourriture.

Les États-Unis soutiennent l’opposition. Quelle est-elle ?

Elle regroupe ceux qui n’ont jamais accepté la rupture historique qu’a incarné Chavez. Aux forces de droite, conservatrice et d’extrême droite, se sont greffés les deux partis qui, durant 40 ans, ont alterné au pouvoir, l’action démocratique, formellement social-démocrate, mais ayant sombré dans la corruption, et le centre droit des démocrates chrétiens. Depuis 2016, une deuxième opposition est apparue, une opposition de gauche critique, surtout intellectuelle mais qui n’a pas d’appui dans la société.

Suite à la crise, les classes populaires se détournent-elles du chavisme ?

Quand bien même la population est en grande difficulté, peut faire le choix d’aller jusqu’à émigrer ou de bouder Maduro dans les urnes, jamais ces gens ne votent pour l’opposition. Ils ont acquis des droits et ne veulent pas les perdre. Pour mémoire, l’ONU a reconnu que le chavisme a apporté les meilleurs résultats de lutte contre la pauvreté et les inégalités de toute l’Amérique latine entre 1998 et 2013. Après la colère, il y a donc eu une réaction de protection par rapport à ceux qui voulaient en finir avec le chavisme. D’autant qu’après 2017, la population en a eu marre de subir le cataclysme économique et les violences politiques qu’elle a clairement identifié à l’opposition. Cela s’est traduit par une remobilisation pour empêcher l’opposition de prendre le pouvoir.

Une fuite a fait état d’un éventuel coup d’État américain. Est-ce un retour aux années 70 ?

Le Venezuela est un caillou dans la chaussure des USA. Parce que c’est le joyau pétrolier mondial. Les Américains ne peuvent pas laisser un tel pays être rétif et organiser des alliances considérées comme hérétiques avec la Chine, la Russie, l’Iran… Or, entre 1998 e t2010, les Américains n’ont pas été en mesure de s’en occuper, malmenés qu’ils étaient au Moyen Orient. Aujourd’hui, ils reprennent les affaires en main. D’autant qu’ils peuvent désormais s’appuyer sur des gouvernements qui leur sont plus favorables en Amérique latine, car après 15 ans d’hégémonie de la gauche latine, la droite a repris des gouvernements. Les USA redeviennent plus agressifs comme le montre cette fuite. On n’est cependant pas dans ce qui s’est passé avec Allende. Il n’est pas surprenant que les militaires vénézuéliens séditieux soient allés voir Trump puisque ce dernier leur avait envoyé de nombreux signaux dans ce sens. Ce qui montre qu’on n’est plus dans une époque où les États-Unis peuvent se per- mettre d’envoyer des avions directement. De plus, cette entrevue avec Trump a aussi montré que les États-Unis ne les prenaient pas suffisamment au sérieux pour les aider. Car les Américains ont un vrai problème : ils ont bien compris que Maduro correspond à de solides bases sociales, que ceux qui veulent sa place sont divisés, n’y arrivent pas par les urnes et que le remplacer sera difficile.

Entretien réalisé par Angélique Schaller pour La Marseillaise
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