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Fake you ! En minimisant le bilan de l’ouragan à Porto Rico, Trump s’en prend (aussi) à la science

Presse
17 septembre 2018
Par sa dénégation du nombre officiel de décès consécutifs à l’ouragan Maria qui a frappé Porto Rico – un territoire dit « non incorporé » des États-Unis – à l’automne 2017, le président américain a déclenché un nouveau tollé. Selon un nouveau bilan officiel, ce sont 2 975 personnes qui ont péri mais pour Donald Trump, qui a fait plusieurs tweets à ce sujet les 13 et 15 septembre dernier, ce chiffre est très exagéré. En effet, écrit-il, « 3 000 personnes ne sont pas mortes dans les deux ouragans qui ont frappé Porto Rico. Lorsque j’ai quitté l’île, après que la tempête a frappé, ils avaient entre 6 et 18 morts ».

Fox News a soutenu Trump par un tweet, parlant d’inflation du nombre de morts et d’utilisation de la science et des statistiques à des fins de discrédit sur le président.

Mais le speaker (républicain) de la Chambre des représentants, Paul Ryan, ainsi que l’ancien conseiller à la sécurité intérieure à la Maison blanche – qui avait eu en charge la supervision des secours –, Tom Bossert, ont contredit les allégations du président.

Le bilan officiel est passé de 64 à 2 975 morts fin août 2018, une enquête indépendante, demandée par le gouverneur de Porto Rico, Ricardo Rossello, et menée par des chercheurs de l’Université de George Washington, ayant conclu qu’il fallait comptabiliser les décès directement ou indirectement dus à l’ouragan Maria entre la date de son passage, en septembre 2017, et la mi-février. Les chercheurs ont comparé la mortalité pendant cette période à la mortalité habituelle sur l’île et selon eux, elle a augmenté de 22 % entre ces deux dates par rapport à la même période de l’année précédente.

La surmortalité, expliquent-ils dans cette enquête dont la méthodologie est longuement détaillée, est notamment due à l’absence de soins disponibles pour les malades souffrant de pathologies chroniques (impossibilité de faire des dialyses, d’accéder à l’insuline, etc.) ou les accidents de santé (arrêts cardio-respiratoires, etc.). Une autre étude indépendante de chercheurs de Harvard estime pour sa part le nombre de morts à 4 600. Sur le territoire extrêmement défavorisé qu’est Porto Rico, en effet, le retour de l’électricité et des moyens de transports a pris des mois.

Katrina, un « désastre total ». Porto Rico, un « succès incroyable »

Vivement critiqué pour sa mauvaise gestion de la crise à l’époque – les images du président lançant des rouleaux d’essuie-tout aux sinistrés de Porto Rico, par exemple, ayant été interprétées comme une sous-estimation de sa part de la gravité de la situation –, le président des États-Unis a, alors que l’ouragan Florence touche actuellement la côte Est du pays, souhaité démentir ces informations.

Pour Trump, que Maria ait fait plus de morts que Katrina (environ 1 800) qui, en 2005, avait dévasté la Nouvelle-Orléans et dont l’ampleur avait été minimisée par le président George W. Bush à l’époque et jeté sur lui un profond discrédit, est une réalité insupportable.

Trump n’a donc eu de cesse de parler, à propos de lui-même, de « gagnant » et de « succès » pour qualifier son action et celle des secours, surtout ceux pilotés par le niveau fédéral : « Je pense que nous avons fait du très bon boulot », a-t-il dit et il s’est donné la note maximum de 10/10 ou A+ (comme à l’école) pour la gestion des ouragans Maria, ainsi que Harvey au Texas ou encore Irma en Floride. Pour lui, « Porto Rico est un succès incroyable et méconnu ».

Un complot des démocrates et des médias

Pour le président, l’enquête de l’université de George Washington est donc faussée : « si une personne est décédée pour une raison quelconque, comme la vieillesse, ajoutez-la simplement à la liste. Mauvaise politique. J’aime Porto Rico ! » Pire : le chiffre de 3 000 morts aurait été inventé « par les démocrates pour me faire apparaître sous le plus mauvais jour possible lorsque je levais avec succès des milliards de dollars pour aider à reconstruire Porto Rico. » Selon Trump, ce n’est pas de la science, c’est de la « magie » : « le nombre de morts a augmenté par magie. » Une manière de dire que les scientifiques sont des charlatans.

Donald Trump est coutumier des théories conspirationnistes. Il est l’une des personnes à l’origine du complot des birthers qui, dès l’élection de Barack Obama, ont répandu la rumeur que ce dernier n’était pas né sur le sol américain et qu’il était musulman. Le 14 septembre dernier, il a même alimenté une nouvelle fois cette théorie par un tweet où il revient sur les paroles d’Obama qui, en 2008, avait dit avoir fait campagne dans « 57 États » – au lieu de dire « 47 ». Trump fait, comme à l’époque les sites complotistes d’extrême droite, référence aux 57 États de l’Organisation de la coopération islamique. Cela lui permet d’associer les médias (« fake news medias ») à sa critique du bilan officiel du nombre de décès à Porto Rico : en d’autres termes, ils ont défendu Obama mais ils l’attaquent lui.

Le mépris de la science

Ce n’est pas la première fois que Trump manifeste le peu de cas qu’il fait de la science. En s’entourant de climatosceptiques, y compris en leur accordant les plus hautes responsabilités sur les questions d’environnement (tête de l’Environmental Protection Agency, poste de secrétaire, etc.) ; en faisant savoir, le 12 octobre 2017, il y a bientôt un an, que les États-Unis quittaient l’Unesco – ce retrait, qui devrait entrer en vigueur dans les prochains mois, résulte d’une volonté de retrait de la scène internationale sur les questions de développement, de culture, d’éducation, de science – , il cherche à séduire une base électorale qui rejette les élites dans leur ensemble.

Mais il s’efforce aussi de rompre un peu plus avec son prédécesseur, amoureux des livres et diplômé des plus grandes universités, lui qui ne lit pas et qui est décrit par son entourage et un grand nombre d’observateurs comme inculte et s’informant par Fox News et quelques comptes Twitter. Longtemps méprisé, quand il était homme d’affaires, par le New York intellectuel, Trump prend revanche sur revanche.

Trump s’inscrit également dans une tradition, à droite de l’échiquier politique américain, qui se méfie des avancées scientifiques. Libération consacrait récemment un article aux élus conservateurs du congrès de Caroline du Nord qui, par cupidité, ont, en 2012, refusé de prendre en compte les avertissements des scientifiques et autorisé les constructions massives sur les côtes. Poussé par le lobby du BTP, ils ont même imposé aux autorités locales, par voie législative, d’ignorer les conclusions des chercheurs qui parlent d’une montée de eaux pouvant atteindre un mètre d’ici 2100 et pouvant immerger 5000 km2 de terres et de bâtiments. Il en résulte, avec l’ouragan Florence et ceux qui suivront, une perspective désastreuse sur les plans écologique, humain et financier puisque la facture pourrait atteindre plusieurs dizaines de milliards de dollars.

On connaît la « fake science », on connaît aussi la haine de la science. Terreau du climatoscepticisme qui l’assimile à une stratégie de la gauche (d’inspiration européenne) pour combattre l’exploitation des énergies fossiles et le monde des affaires en général, les tentatives de disqualification de la recherche et des chercheurs ne sont pas nouvelles. Outre les lobbies industriels – les dangers du tabac sont surestimés par les socialistes, entendait-on dans les années 1980 –, une partie des libertariens – où l’on retrouve de nombreux mouvements anti-vaccins par exemple -, et de certains courants religieux – la science est vue comme une rivale de la foi et le créationnisme est l’exemple le plus connu – sont toujours en première ligne pour dénigrer le travail et les avancées scientifiques, en particulier dans les universités.

Le 29 mars 2012, Le Monde publiait une interview de la chercheuse américaine Naomie Oreskes. Cette historienne des sciences et professeure à l’université de Californie à San Diego avait cosigné avec Erik M. Conway un ouvrage important sur le climato-scepticisme, paru en français sous le titre Les marchands de doute (Le Pommier, 2012). Oreskes explique notamment que, pour les auto-institués « experts » climatosceptiques, il n’y a pas de consensus sur le sujet (i.e. : de leur point de vue, le réchauffement climatique peut être contesté sur des bases scientifiques), alors que ce n’est pas le cas. Car, comme le rappelle Oreskes, pour qu’il soit véritablement scientifique, un débat doit se tenir selon des procédures (argumentation technique, etc.) et dans des lieux bien précis (revues spécialisées, colloques universitaires…), et être mené par des spécialistes reconnus et évalués par leurs pairs. Rien de tout cela en ce qui concerne la remise en cause du réchauffement climatique.

Les populistes, notamment chez les ultra-conservateurs et les nationalistes, qui misent sur le pouvoir de persuasion des émotions, des affects, de l’irrationnel, ont beaucoup nourri leurs théories conspirationnistes par leur scepticisme envers la science. Et la tendance n’est pas près de s’arrêter.
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