ANALYSES

Élections au Brésil : une épreuve de vérité démocratique

Tribune
17 septembre 2018


Président, députés et sénateurs, gouverneurs, comme tous les quatre ans, vont être élus ou réélus par les Brésiliens en âge de voter. Tout pourtant ne va pas pour le mieux en démocratie brésilienne.

Tout, à vrai dire, va de travers depuis deux ans, soit depuis la destitution inconstitutionnelle de la présidente Dilma Rousseff. Mais pour autant les jeux ne sont pas faits. Les dés en roulant chaotiquement peuvent tourner côté pile, celui du rétablissement d’une normalité républicaine.

Prenant les composantes des équilibres incontournables en démocratie, le constat est brutalement préoccupant. L’exécutif est occupé par un chef d’État non élu, surgi d’un coup d’État sans effusion de sang, c’est-à-dire un coup d’État parlementaire. Se substituant au juge, les députés et sénateurs ont écarté en 2016 une présidente élue, pour changer les orientations de l’économie, de la politique sociale et de la diplomatie. Le crime contre la loi fondamentale évoqué pour justifier le vote était inexistant. Hommage du vice à la vertu, contrairement à ce que dit la Loi fondamentale, les auteurs de ce forfait constitutionnel n’ont pas osé aller jusqu’au bout de leur logique en en levant ses droits civiques à la présidente.

Le parlement est composé de députés et sénateurs qui, selon l’ONG Transparency international qui en fait l’inventaire, sont pour la moitié d’entre eux environ mis en examen pour corruption. Certains comme le sénateur Aecio Neves (PSDB) qui s’était présenté contre Dilma Rousseff en 2014, gravement mis en cause a été sauvé par le vote complice de ses pairs qui ont refusé de lever son immunité parlementaire. Une décision similaire a été prise par le Sénat de l’État de Sao Paulo pour tirer d’affaire Geraldo Alckmin candidat PSDB aux présidentielles.

La justice s’est, en toutes ces circonstances, comportée par ailleurs comme une force politique agissant en connivence avec le camp du coup d’État parlementaire. Du moins certains de ses représentants. Elle a mené des actions de harcèlement priorisant le PT, et ses alliés. Elle a ainsi mis
hors-jeu Lula, condamné sans preuve. Lula qui, candidat aux présidentielles, avait toutes les chances de l’emporter selon les sondages publiés. Elle n’a au contraire montré aucune intention similaire à l’égard des représentants des forces politiques ayant soutenu le coup d’État parlementaire. Le Comité des droits de l’homme de l’ONU s’en est ému et l’a fait savoir à deux reprises.

Au fil des mois, on a ainsi assisté à l’évidence de connivences entre les diverses composantes de cette conspiration anti-démocratique. Les juges et le pouvoir judiciaire ont été récompensés financièrement par l’Exécutif et le parlement. Alors que le pays est en récession, et l’État en situation de disette budgétaire, ils ont bénéficié d’une hausse de 11% de leurs revenus. Les juges de la Cour suprême, qui ont in fine décidé que Lula avait été condamné de façon pertinente, et ne pouvait donc pas participer à l’élection, ont demandé et obtenu une augmentation salariale de 16%. La justice brésilienne, selon les chiffres publiés, capterait ainsi 1,5% du PIB.

Les forces armées qui, il est vrai, n’ont pas fait leur autocritique comme en Argentine ont saisi ce moment particulier pour revenir sur le devant de la scène. Le commandant en chef de l’armée de terre ne s’est pas ému de la prise de contrôle d’Embraer, l’avionneur brésilien, 3e constructeur mondial par Boeing. En revanche, il s’est exprimé pour recommander aux juges de ne montrer aucune clémence envers Lula. Le général Eduardo Villas Boas, c’est son nom, a repris la parole le 9 septembre dans le quotidien O Estado de Sao Paulo pour signaler la vigilance des armées sur le déroulement et le résultat du scrutin du 7 octobre.

Enfin, cerise sur le gâteau, le candidat le plus redouté par l’établissement financier, l’ex-capitaine Jair Bolsonaro, second des sondages derrière Lula, a été opportunément écarté par un coup de couteau. L’auteur de cette tentative d’homicide, Adelio Bispo de Oliveira a désigné le donneur d’ordre de cet acte, Dieu lui-même. Ce qui coupe toute éventualité de recherche d’un donneur d’ordre.

En dépit de cette collusion et confusion des pouvoirs, de l’élimination de deux des candidats les mieux placés, la presse des milieux d’affaires est inquiète. « N’allons-nous pas vers un désastre ? », signalait un éditorialiste de O Estado de Sao Paulo le 14 septembre. Fernando Haddad adoubé le 13 septembre par Lula, a en effet fait une percée spectaculaire dans les sondages. Alors que le candidat « officiel » Geraldo Alckmin stagne et n’arrive pas à décoller. Il est vrai que les électeurs pauvres – ils sont majoritaires – ont gardé le meilleur des souvenirs des années Lula, alors que depuis 2016, ils ne cessent de se serrer la ceinture…
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