ANALYSES

Serena Williams, une icône qui dérange

Presse
11 septembre 2018
Après que les anciens joueurs de la Ligue américaine de football Colin Kaepernick et Eric Reid sont venus assister au match de l’US Open opposant Venus et Serena Williams, cette dernière a dit à leur sujet que tous les sportifs devaient être reconnaissants de leur attitude – s’agenouiller pendant l’hymne américain, avant les matchs, pour protester contre les meurtres de Noirs par des policiers blancs, ce qui leur a attiré les foudres et les insultes de Donald Trump – et que ceux qui souhaitent que la société change les respectaient.

Car en plus d’être une immense athlète, l’une des plus grandes joueuses de tennis de tous les temps, détentrice entre autres de 23 titres du Grand Chelem, Serena Williams est une femme engagée contre le sexisme et contre le racisme. Mais engagée dans le sens où elle utilise son influence dans et en dehors du sport, en s’appuyant sur des outils et des vecteurs efficaces : l’industrie du divertissement, les codes de la pop culture, les médias de la mode.

Quant à son équipementier, Nike – qui est aussi le sponsor de Colin Kaepernick et du basketteur LeBron James –, il sait en retour habilement utiliser l’image de la tenniswoman en créant pour elle une combinaison noire de contention qui la fait ressembler, selon ses propres termes, à une « superhéroïne » de l’univers pop Marvel. On trouve aussi des sneakers, un blouson, un sac et des robes à son nom, signées du créateur de haute couture Virgil Abloh qui qualifie la joueuse de « muse ».

Serena Williams perturbe le genre

Serena Williams est à la fois une girl next door lorsqu’elle raconte que sa grossesse et son accouchement ont failli lui coûter la vie, et la difficulté à concilier carrière et vie de famille, mais aussi, par son aura, une icône mondiale du combat contre les discriminations.

Serena Williams, qui a fait une longue apparition dans le clip de « Sorry » sur l’album Lemonade de Beyoncé – où il est justement question de ne pas s’excuser d’être ce qu’on est –, incarne, comme la chanteuse, un message universel de liberté et d’égalité pour les femmes noires aux États-Unis. La « princesse guerrière », la compétitrice qui déteste perdre, c’est une femme indépendante, qui remercie son corps athlétique, ne correspondant pas aux normes stéréotypées de la sportive « légitime », de lui avoir permis de remporter tant de victoires.

Ce storytelling, habilement récupéré par Nike pour en faire une stratégie marketing, semble toutefois complètement échapper aux responsables du tennis mondial. Ils ne saisissent pas le potentiel immense de la joueuse hors des terrains : alors qu’elle porte, bien au-delà du sport, les valeurs de combativité, d’émancipation, de loyauté et d’égalité dont ils pourraient s’emparer, ils lui reprochent ses tenues vestimentaires et un comportement, sur le terrain, qu’ils toléreraient s’il venait d’un tennisman.

Une incarnation de l’universel

Après avoir fait la couverture du Vogue US en février 2018 avec son bébé, après avoir posé, enceinte, pour la célèbre photographe Annie Leibovitz et Vanity Fair, après avoir été l’héroïne d’une série pour la chaîne de télévision américaine HBO (« Being Serena »), Serena Williams, qui est l’objet d’attaques sexistes et racistes depuis qu’elle fait du tennis à haut niveau, se voit reprocher de ne pas mettre une jupe à Roland Garros en 2018 parce que ce lieu est un « écrin » qu’il faut « respecter ».

Dans le sport de compétition comme dans tout espace public, les hommes représentent l’universel et les femmes, la marge. Serena Williams dérange parce qu’en bousculant les normes genrées dans le sport, en invitant les femmes et notamment les femmes africaines-américaines à ne pas accepter les inégalités dont elles sont victimes dans la société, elle est une figure universelle.

Le 8 septembre dernier, elle s’est inclinée en finale de l’US Open face à l’une de ses fans, la Japonaise Naomi Osaka. L’arbitre a sanctionné trois fois l’Américaine pour bris de raquette, mais surtout pour « coaching » – son entraîneur lui aurait fait des signes pour qu’elle change sa tactique de jeu – et pour avoir reproché à l’arbitre, en le pointant du doigt et en le qualifiant de « voleur », de remettre son intégrité en cause puisqu’il sous-entendait qu’elle avait triché.

Celui-ci lui a infligé rien moins qu’un jeu de pénalité en fin de deuxième set, obérant largement ses changes de victoire – même si Osaka méritait son titre, ce que Williams, fair play, a reconnu, invitant le public à applaudir son adversaire au moment de la remise de son trophée. Elle a ensuite également écopé d’une amende de 17 000 dollars.

L’Association des joueuses professionnelles (WTA) a fait savoir, par le biais de son directeur, Steve Simon, que ces sanctions infligées à Serena Williams prouvaient l’existence d’« une différence de degré dans la tolérance face aux émotions exprimées par les hommes et les femmes ». Pour la WTA, Serena Williams n’a pas été traitée de la même façon qu’un homme l’aurait été en de pareilles circonstances – il y a en effet de multiples précédents et une étude comparée mériterait d’être menée et rendue publique, alors que joueuses comme joueurs sont censés garder leur sang-froid sur le court. On ne lui pardonne rien.

Mais c’est l’effet inverse de celui recherché qui se produit : sa détermination sportive, son engagement, ainsi que son image de résistante et de combattante s’en trouvent finalement renforcés.
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