ANALYSES

Etat d’urgence à Charlottesville : mais où en sont les suprémacistes blancs de leur relation avec Donald Trump ?

Presse
11 août 2018
Interview de - Atlantico
Charlottesville sera le théâtre, ce weekend, de la réunion « Unite the Right », un an après les événements de 2017. Comment ces différents mouvements ont-ils évolué au cours de cette année? Alors que Steve Bannon pouvait être considéré comme le trait d’union entre « Unite the Right » et Donald Trump, la proximité est-elle toujours aussi évidente aujourd’hui?

En réalité, ce rassemblement n’aura pas lieu à Charlottesville cette année, car il y a été interdit, à la suite de la mort de Heather Heyer, l’année dernière : l’état d’urgence a donc été déclaré dans la ville. La commissaire de police de la ville Rasha Brackney a indiqué que les forces de l’ordre étaient extrêmement mobilisées entre vendredi, à partir de 18h et lundi matin : car tous craignent que Charlottesville ne devienne un symbole pour les suprématistes américains et qu’ils n’en fassent un lieu de rencontre annuelle, une sorte de pèlerinage.

Pour autant, on constate que ces mouvements ont perdu beaucoup de la dynamique dont ils avaient bénéficié après l’élection de Donald Trump, alors qu’ils estimaient que leurs idées avaient triomphé et que beaucoup d’électeurs de Donald Trump s’étaient rapprochés d’eux où avaient tendu une oreille plus bienveillante à l’écoute de leurs idées. La situation est réellement très différente un an plus tard, alors que les Américains ont rejeté en masse la racisme et la violence. Les militants de l’Alt-Right ont été souvent harcelés sur les réseaux sociaux par des groupes antiracistes, parfois même avec la publication de leur photo, leur adresse ou d’autres renseignements très personnels, souvent avec des commentaires désobligeants ou dénonciateurs. Dès les lendemains du drame de Charlottesville, l’année dernière, certains avaient aussi perdu leur emploi, alors que faisait rage une compagne sur Internet, visant parfois –et avec efficacité– les employeurs de ces militants, qui réagissaient à leur tour en se débarrassant de l’encombrant employé, d’autant plus vite lorsque l’employeur était en position de vulnérabilité ou dépendait directement d’une activité en contact direct avec le public, comme c’est le cas pour un commerce ou un restaurant, par exemple.

Le climat, on l’a compris, a été celui d’une lutte sans merci entre militants d’extrême droite et groupes d’extrême gauche. C’est un épisode est récurrent dans l’histoire américaine : on se souvient qu’il en a été exactement ainsi dans les années soixante, lorsque le public américain a été influencé par le mouvement des droits civiques et que le Ku Klux Klan s’est retrouvé marginalisé, même dans le Sud profond, après avoir connu une petite période de reprise de l’intérêt qu’il suscitait au début de cette période, avant que quelques cas dramatique n’entrainent un rejet violent de ces idées et de ces pratiques.

Il faut aussi relever que la proximité avec Donald Trump n’est plus aussi claire aujourd’hui : le président US est beaucoup moins provocateur que pendant sa campagne et il a été forcé de clarifier certaines position, voire de condamner lui-même certains actes. Depuis un an, il a par ailleurs écarté beaucoup de leaders de l’Alt-Right, qui gravitaient jusqu’alors dans son entourage le plus immédiat : Sebastian Gorka, Julia Hahn, Richard Spencer (qu’il prétendait déjà « ne pas bien connaître »), ou le très emblématique Steve Bannon, qu’il a brutalement chassé de la Maison-Blanche en janvier.

D’autres ont été mis sur la touche par des poursuites judiciaires, dont l’ancien conseiller à la sécurité nationale, Michael Flynn.

N’est ce pas là tout de même une occasion pour Donald Trump de s’adonner à sa pratique habituelle de polarisation de l’électorat, entre pro et anti présidence Trump ?

Donald Trump marche sur des œufs avec cette question. Il sait qu’il ne peut pas totalement se détourner de ces forces, car on y trouve de nombreux militants, qui savent se rendre actifs et ne comptent ni leur temps ni leur énergie pour diffuser leurs idées : ils sont particulièrement agissants et énergiques sur les réseaux sociaux et forment un ensemble fort et cohérent qui savent apporter un écho solide à ses idées.

Il a, par ailleurs, à faire face aux groupes anti-Trump, qui n’ont jamais faibli depuis le premier jour de sa présidence (le 9 novembre 2016) et qui sont tout aussi actifs que les groupes alt-right ou suprématistes de tous bords.

Mais il ne peut pas réitérer son erreur du 12 août 2017, lorsqu’il mettait sur un même plan des nazis et des groupes antifa, en estimant que c’était pareil parce que « la violence est des deux côtés ». Il sait maintenant que les forces politiques au sein desquelles il évolue désormais se lèveront pour préserver la mémoire de la shoah et pour qu’il n’y ait aucune banalisation de cette horreur de l’histoire : il ne lui sera pas pardonné de commettre cette erreur une seconde fois.

Le contexte n’est donc plus le même. Même l’idée fondatrice de ce rassemblement, qui se veut être la réunification des groupes suprématistes semble ne plus être tout à fait d’actualité. Jason Kessler a, cette fois, été bien seul pour appeler au rassemblement et Richard Spencer a pris ses distances avec lui. Les polémistes les plus célèbres que sont Milo Yiannopolos ou Ann Coulter ont fait peu de publicité à l’événement et Alex Jones, l’animateur du site conspirationniste Infowars, s’est retrouvé dans le collimateur des GAFA, qui l’ont banni de leurs plateformes pour ce qui concerne Apple, Facebook, U-Tube ou Spotify.

Donald Trump pourra toujours dire un mot en faveur de la liberté d’expression, qui est sacrée aux Etats-Unis, et protégée par le 1er amendement ; cela sera interprété comme un soutien, même du bout des lèvres, mais sera bien apprécié dans les rangs des manifestants. David Duke, l’ancien leader du Ku Klux Klan s’est fait une spécialité de comprendre à demi-mot la parole présidentielle et la traduire pour ses troupes.

Donald Trump n’est pas que le président des Etats-Unis : il est aussi candidat à sa propre réélection. Chacun scrutera donc sa réaction ou son absence de réaction au cours du weekend. Toutefois, sa capacité à jouer sur les divisions et à maintenir un climat d’opposition forte entre les deux camps (démocrates et républicains) n’aura pas besoin d’être particulièrement exercée ici : car la division est totalement installée aujourd’hui et rien ne changera avant le prochain scrutin présidentiel, en 2020. Il aurait donc plutôt intérêt à faire profil bas ce weekend et à rester spectateur de ce rassemblement, sans bouger.

Faut-il s’inquiéter de nouveaux événements dans cette ville qui a été placée sous état d’urgence à cette occasion? Quel est l’état de nervosité de ces mouvements dans le contexte actuel ?

La situation de reflux que connaît l’alt-Right et, de façon plus large, de tous les groupes suprématistes, ne peut en effet qu’inquiéter : car s’il y a un affaiblissement, il n’y a pas pour autant de débandade et le gros des troupes a tendance à se radicaliser encore plus fortement. Charlottesville n’est qu’à 2h de voiture de Washington DC et les autorités l’ont bien compris : toutes les armes sont interdites pendant tout le weekend dans un périmètre très large à Charlottesville et on entend par arme tout ce qui peut blesser, y compris –bien entendu– les couteaux, mais aussi les battes de baseball, gourdin, marteau, ou tout autre objet avec lequel on peut blesser quelqu’un : la police aura un droit très étendu de confisquer les objets qu’elle jugera inopportuns, sans avoir à justifier leur décision.

Car, en effet, la crainte est optimale qu’il y ait un dérapage.

Il faut rappeler que le droit d’expression est très étendu et que, si une telle manifestation est autorisée, la contre-manifestation l’est tout autant : les groupes d’extrême droite ne sont donc pas les seuls à avoir convergé sur Washington DC et, éventuellement, Charlottesvile. Ceux d’extrême gauche en ont fait tout autant. Comem à chaque fois, ce n’est pas un groupe, ou l’autre, qui pose réellement le plus grand problème : c’est la rencontre des deux.
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