ANALYSES

La renaissance du Ku Klux Klan

Presse
27 août 2018
On n’avait plus entendu parler du Ku Klux Klan depuis la fin des années 60 jusqu’au début des années 90, quand ce groupe a alors opéré un retour qui a fini par se remarquer : en 2017, avec Charlottesville, l’Amérique a pleinement pris conscience que le Klan était toujours là, parmi eux.

La renaissance a tout de même surpris, même si elle s’est faite avec les bonnes vieilles recettes qui ont toujours été les siennes : exploiter les peurs pour encourager au rejet et tourmenter ses ennemis. À partir du début des années 2000, c’est le sujet clivant de l’immigration, brandi à chaque débat de la vie politique américaine, qui a permis au Ku Klux Klan d’opérer une renaissance.

Plus de tatouages, moins de cagoules

La différence avec les premiers groupes, ceux du XIXe et du XXe siècles, est apparue très vite comme évidente : il ne s’agissait plus uniquement de discuter la place des noirs dans la société, mais d’une vision politique plus globale, nationaliste, contre l’immigration et avec une vision suprémaciste blanche. Ces néo-KKK ont donc eu tendance à épouser des causes néo-nazies, recrutant des membres qui souvent appartenaient déjà à des groupes clairement identifiés dans cette mouvance ou impliqués dans la sous-culture nazie- skinhead de l’époque ou des Hammerskins, tous très ouvertement racistes.

Les nouveaux membres du Klan se sont très vite distingués par l’adoption de codes propres cette culture extrémiste. Ainsi ils sont généralement couverts de tatouages qui vont de la tête de mort à de multiples formes de croix – dont la croix gammée–, portent des cheveux très courts ou sont totalement chauve, ont des bottes hautes, des vêtements serrés et des vestes d’aviateur, et ils écoutent leurs propres groupes de punk rock ou oï véhiculant des messages haineux. Ces éléments bien définis ont donné corps à un groupe en formation, comme la cagoule à bout pointu et la tunique blanche l’avaient été pour leurs glorieux prédécesseurs.

Faire peur

La méthode chère au Klan : le terrorisme, n’a en revanche pas changée depuis décembre 1865, lorsque le premier groupe a été fondé à Pulaski dans le Tennessee.

L’idéologie du Klan proclamait alors que les Blancs, seuls, pouvaient diriger le pays alors que les anciens esclaves et leurs descendants, fraîchement émancipés, venaient d’obtenir la citoyenneté américaine.

Certains Blancs se sont donc organisés en groupes de résistance secrets et ont formé une sorte de fédération, avec une organisation mi-religieuse, mi-militaire. À la tête de cet ensemble, ils ont élu l’ancien général confédéré Nathan Forrest, pour être leur président, appelé « Grand Sorcier ».

Pour entretenir le mystère et envelopper le Klan d’une aura sacrée et intimidante, le nom est compliqué et mystérieux, difficile d’accès pour le profane, puisant son inspiration dans le grec. En effet « ku klux » est un dérivé de kyklos, signifiant cercle ou clan. De plus, le Klan s’entoure de rituels destinant à entretenir peur et soupçon : leurs réunions ont souvent lieu la nuit et les rituels comprennent l’utilisation de flambeaux qui, associés à ces robes blanches et ces cagoules, donnent un air effrayant à un tel tableau, pour qui en serait le témoin ou viendrait à croiser une de leurs processions.

En terrorisant et assassinant les Noirs, le Klan espérait les tenir éloigner des urnes, leur vote pouvant bouleverser les équilibres du pays, mais aussi les empêcher de vivre en sérénité dans une Amérique encore bouleversée par ces profonds changements de société : les lois racistes (Jim Crow Laws) ont proliféré, interdisant par exemple les mariages mixtes ou commençant à imposer une ségrégation entre blancs et noirs et interdisant l’accès à de nombreux lieux aux anciens esclaves.

Le mauvais sens de l’histoire américaine

Ce nom de Ku Klux Klan a alors essaimé à travers le sud des États-Unis et a vite été prononcé avec effroi. Les suprémacistes, qui étaient déjà quelques dizaines de milliers suivant les états à la fin du XIXe siècle et plusieurs millions au plan national dans les années 20, au siècle suivant, ont exercé leur œuvre de haine, semant la terreur, pillant, violant, tuant, le plus souvent par pendaison, « pour l’exemple ». Pour la seule année 1871, on compte 297 Noirs qui se font lyncher à La Nouvelle-Orléans et 200 dans l’état du Mississippi.

Le Klan s’appuyait par ailleurs sur une nébuleuse d’organisations, certaines portant des noms aux consonances plus esthétiques comme les Chevaliers du Kamélia (Camélia) Blanc. Ces dernières rompaient à la fois avec le sens de l’histoire américaine, et avec ses lois et sa constitution, depuis que les 13e, 14e et 15e amendement avaient donné aux anciens esclaves l’émancipation, la citoyenneté et l’égalité.

Ces groupes, construits sur l’amère déception de la défaite contre le Nord pendant la guerre de Sécession (1861-1865), ont ainsi exprimé toutes les frustrations d’individus se sentant dépossédés du pouvoir de vie et de mort qu’ils avaient sur leurs anciens esclaves et qui n’acceptaient pas d’en être privés. L’égalité apportée par la loi leur a aussi semblé insupportable et ils se sont presque naturellement unis pour organiser la lutte et la résistance face à cette révolution.

Le Klan – dont les idées reflétaient certaines tendances de la société américaine de l’époque – pouvait ainsi compter sur des sympathisants et divers acteurs de la vie publique : politiques, administratifs ou judiciaires au plan local, ce soutien étant favorisé par l’anonymat que procuraient leurs tenues et le rituel du secret de leurs réunions.

Le groupe a prospéré jusqu’en 1871, jusqu’à ce que le président Grant s’attaque à eux avec détermination pour imposer la loi américaine et les principes qui ont gagné lors de la guerre civile. Le congrès a alors adopté le Klan Act, qui a ordonné la dissolution du groupe de haine.

La deuxième vague

Trop tard peut-être, car le Klan était désormais partie intégrante de l’Amérique libérale : une deuxième vague, plus forte, est ainsi apparue entre 1915 et 1944.

Il n’était alors plus question de résistance. Le mouvement réactionnaire qui s’est développé entre les deux guerres a été guidé par le colonel William J. Simmons, devenu le Sorcier impérial, qui était le titre du chef suprême de l’organisation au plan national.

Il a prêté serment le jour de la Thanksgiving 1915, à Stone Mountain, en Georgie, devant des membres de l’ancien Klan, celui de 1865. Ce deuxième Klan a été formé sur le modèle d’une fraternité, un club très fermé dans lequel il fallait être adoubé pour adhérer, ce qui donnait une dimension supplémentaire qui le distinguait du groupe d’origine.

Apolitique, on trouvait alors aussi bien des républicains que des démocrates dans cette nébuleuse, dont les buts étaient différents de ceux poursuivis par leurs aînés. Le « mal » n’était plus juste les Noirs mais également les nouveaux immigrants, ceux qui changeaient la nature profonde de la société américaine parce que leur origine n’était plus dans les pays anglo-saxons ou nordique, mais qu’ils venaient plutôt du sud ou de l’est de l’Europe. On les accusait de venir voler les emplois et de bousculer les fondements de la société, construite par des WASP (les Blancs protestants) avec des valeurs que les membres du Klan disaient être en danger.

Immigrants, catholiques et juifs sont donc devenus les périls à combattre. Les protestants fondamentalistes ont rejoint les rangs du Klux Klan par milliers : on comptait 40 000 pasteurs dans ses rangs dans sa période la plus faste et plus de 5 millions de membres, certains proposant le chiffre de 8 millions, mais celui de 5 millions étant plus communément retenu.

La corruption et la violence ont cependant fait décliner ce deuxième mouvement. Curieusement, à la fin de cette période, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, le Ku Klux Klan a éclaté sur des bases politiques : les membres du Sud étaient plutôt démocrates alors que ceux du Nord étaient plutôt républicains. Cette approche politicienne portait en germe l’opposition grandissante d’une partie importante du pays, tout en traduisant la difficulté de l’unité d’un parti américain sur le plan idéologique au plan national.

Grand Dragon

Une troisième phase a existé entre 1946 et 1968. Là encore, les débuts nous ramènent à Stone Mountain, en Georgie, quand un inconnu, le docteur Samuel Green, a une fois de plus réveillé l’organisation. À son tour, il a apporté quelques modifications, rompant avec l’organisation nationale et préférant une organisation par État. Il a aussi changé le titre du chef suprême, préférant qu’on l’appelle le Grand Dragon.

La priorité a cette fois porté sur la lutte contre les droits civiques, alors que les organisations noires devenaient de plus en plus influentes. Les assassinats et les attentats, notamment en incendiant des bâtiments ou en posant des bombes, sont devenus des moyens communs de lutte pour les membres du Klan. Le gouvernement fédéral a réagi avec vigueur poursuivant les membres du Ku Klux Klan en justice et chargeant le FBI de leur mener une lutte sans merci. Dès les années 60, le mouvement a connu un déclin rapide.

Entre 1967 et 1980, alors que le Ku Klux Klan était réduit à sa plus faible proportion, Robert M. Shelton, a assuré la réunification des différents groupes et a repris l’ancien titre de Sorcier Impérial. Mais le groupe ne comptait alors plus que quelques milliers de membres.

Ils sont toujours là

En 2018 le Ku Klux Klan n’a plus grand-chose à voir avec le groupe ancestral. Aujourd’hui, l’organisation en plus des médias classiques, est très présente sur Internet et les réseaux sociaux pour diffuser ses idées de haine. David Duke, qui a succédé a Robert Shelton, s’est montré particulièrement efficace pour dynamiser à nouveau les groupes qui s’étaient reconstitués. D’apparence plus policé, avec un vrai talent d’orateur et passant très bien dans les médias, il a acquis une grande notoriété, qui lui a permis d’attirer un public de plus en plus large dans des conférences, puis des réunions plus privées.

Contrairement à ce qu’auraient alors pu envisager les plus optimistes, le mouvement s’est bel et bien relancé dans la durée dans les années 2000. En mars 2006, 80 membres du mouvement National Socialistes se sont retrouvés à Laurens, en Caroline du Sud, pour tenter de créer les nouveaux embryons d’un mouvement commun. De nombreux noms « connus » étaient alors présents. En plus des représentants du mouvement des National Socialistes et ceux des Nations Ariennes, se trouvaient des groupes ressuscités depuis peu, tels que les Chevaliers Gryphons du KKK, les Chevaliers Teutoniques du KKK et les Chevaliers Bayou du KKK.

Parmi les groupes qui comptent, il y a aussi les Klans Impériaux d’Amérique ou les Chevaliers du Ku Klux Klan, le groupe principal, dirigé par l’actuel leader national, le pasteur Thomas Robb.

Les estimations des groupes qui observent ces mouvements, comme le Southern Poverty Law Center ou l’Anti-Defamation League, évaluent à 6 000 personnes le nombre de membres actuels du Ku Klux Klan. Le Southern Poverty Law Center, qui étudie la question, a recensé 158 groupes différents du Ku Klux Klan (et près de 200 groupes de haine), non seulement dans tous les États du sud – et cela va jusqu’en Californie –, mais aussi en Ohio, en Pennsylvanie, dans l’Etat de New York, dans l’Illinois, le Maryland, le Connecticut, le New Jersey ou Washington DC. Les idéologies et motivations de ces groupes convergent toutes aujourd’hui.

Le Ku Klux Klan possède son quartier général dans le comté de Boone, dans l’Arkansas, à 30 km au nord de Harrison, le siège de comté, qui est également considéré par de nombreux médias comme la ville la plus raciste des États-Unis.

La survivance de la haine

Au-delà du folklore, du retour à des noms étranges, à l’organisation particulière de ce groupe, ce qui frappe est sa capacité de survie et de résilience au cours des deux siècles précédents. Il a ainsi pris la place d’une soupape ou d’un véhicule pour les idées les plus sombres et plus nauséabondes circulant au sein de la société américaine.

Si l’immigration est toujours au cœur des préoccupations des suprémacistes, vient désormais s’ajouter le nationalisme, l’ingrédient moderne ajouté et complémentaire de la flatterie des bas-instincts, du rejet des plus faibles, de l’enfermement sur une pensée étriquée et une attitude qui ne laisse aucune chance à la bienveillance et au respect. Le suprémacisme est désormais une idée qui fait sens dans une société hétéroclite.

C’est aussi pour cela que de nombreux politiciens américains veulent en finir avec les symboles confédérés, qui maintiennent au premier plan des pratiques et des pensées dont l’Amérique souhaiterait se débarrasser.

Lorsque Donald Trump s’en prend avec détermination à l’élite libérale, à la mondialisation, souhaite une Amérique sans immigrants, une Amérique dominée par les Blancs anglo-saxons, une Amérique priant à l’unisson un même dieu unique chrétien évangélique, comment ne pas craindre une nouvelle déferlante de haine ? Comment éviter d’autres « Charlottesville » ?
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