ANALYSES

Orban-Salvini contre Macron : vers une nouvelle Europe ?

Presse
31 août 2018
Interview de Béligh Nabli - TV5-Monde
Quel état des lieux faites-vous des dynamiques européennes ? On a l’impression que depuis le Brexit, une vague populiste emporte tout sur son passage…

Difficile pour moi de parler de populisme. C’est un mot fourre-tout, mais il y a une montée en puissance de forces politiques structurées en nouveaux partis. Ces derniers se sont engagés à participer à un projet politique qui va à l’encontre des valeurs de la construction européenne.

On a tendance à mettre des pays comme la Grande-Bretagne, l’Italie et la Hongrie, dans le même sac, mais c’est un peu plus complexe. On pourrait les décomposer avec la Hongrie, membre du groupe Visegrad qui réunit des États d’Europe de l’Est et d’Europe centrale. Il y a l’identification d’un élément fort au sein de ce groupe : la volonté de fortifier les frontières extérieures de l’Europe et de ces pays, par rapport aux flux migratoires. C’est moins la question du libre-échange, au sens commercial, qui est mise en avant.

De l’autre, côté, si l’on prête attention à la montée en puissance du parti britannique pro-Brexit, ou même du mouvement 5 étoiles en Italie, c’est plutôt la question du libre échangisme sans régulation qui prédomine. Difficile donc de mettre ces forces dans le même mouvement. Plutôt que populisme, il faudrait, selon moi, parler de « démocraties illibérales et identitaires ».

Est-ce que l’on se dirige vers une nouvelle Europe ?

Ce qui est donc fondamental, c’est que l’on observe une déconstruction de l’Europe. On pourrait assister à une reconfiguration politique européenne avec des forces souverainistes en position de force, pas forcément majoritaires d’un côté. De l’autre, l’avènement d’une 3ème force politique très forte, qui viendrait bouleverser l’équilibre européen traditionnel entre le PPE (centre-droit) et le PSE (centre-gauche). Après avoir fait éclater le système européen, je pense qu’Emmanuel Macron va tenter de faire éclater le système européen en faisant émerger cette 3ème force politique, qui deviendra peut-être la première. Mais il est difficile, pour le moment, de se projeter.

En toile de fond, il y a un enjeu idéologique fondamental : quel sens prendra le projet européen ? Va-t-il y avoir une remise en cause des principes libéraux, au sens économique mais surtout au sens des droits de l’Homme ou alors va-t-on assister à une sorte de sursaut avec une défaite des partis anti-européens ? Ces questions se posent dans un contexte géopolitique particulier. Il interroge l’Europe dans sa capacité à se constituer comme un pôle de puissance, à s’autonomiser d’un point de vue stratégique au vu de l’éloignement des Etats-Unis avec l’administration Trump d’un côté, les Russes, mais aussi une forme de spectre chinois de l’autre.

Il est certain que les partis auront du mal à vendre cela lors des prochaines élections européennes, mais les futurs responsables européens devront se pencher là-dessus. Ils vont, par exemple, devoir répondre à la question de la création d’une force européenne et d’une diplomatie européenne digne de ce nom. Les Européens sont condamnés à prendre conscience de la nécessité de mieux se coordonner… Je n’ose même plus le mot « s’unir », au vu de la division actuelle. C’est une question de vie ou de mort du projet européen.

Que pensez-vous de la récente joute verbale qui a opposé le couple Viktor Orban-Matteo Salvini à Emmanuel Macron ?

Tout cela est très caricatural car si on s’en tient aux derniers échanges entre Emmanuel Macron, Matteo Salvini et Viktor Orban, on ne peut pas s’en tenir à l’idée qu’Emmanuel Macron incarnerait une politique d’ouverture à l’immigration voire l’immigration clandestine ! Il y a une politique migratoire très stricte en vigueur en France qui n’a rien à voir avec la représentation qui se dégage des déclarations de Salvini et Orban. On est dans une logique de postures, que tous ces acteurs politiques ont intérêt, aujourd’hui, à cristalliser. On ne doit pas oublier que cette séquence a lieu à l’aune des élections européennes de 2019.

Les acteurs politiques ont intérêt à faire en sorte qu’il y ait d’un côté des leaders anti européens. Ceux-ci ont l’impression d’être dans un rapport de force favorable et cherchent donc à le rendre visible en multipliant les alliances en vu de l’arbitrage électoral que constituent les européennes de 2019. De l’autre côté, on a un Président français qui prend acte de l’état de faiblesse des institutions de l’Union Européenne avec un président Juncker à la commission qui est inaudible et invisible, mais aussi un président du Conseil européen inexistant.

A côté de cela, on a Angela Merkel qui tente de s’en sortir avec une situation politique interne, au sein de sa propre coalition, qui ne lui permet pas de parler avec force. Il est donc difficile d’avoir une ligne très claire et Emmanuel Macron tente de profiter de ce vide pour incarner une alternative politique, qui devra se traduire par la création d’une nouvelle force politique européenne puisqu’il ne compte pas adhérer aux deux existantes.

La multiplication des visites d’Emmanuel Macron, notamment vers les pays dits nordiques, participe-t-elle de la constitution de cette nouvelle force européenne ?

Oui, elle reflète la volonté d’Emmanuel Macron de constituer un bloc qui aille au-delà du traditionnel moteur franco-allemand qui est devenu relativement impuissant. Avec ces visites, il essaye d’établir un diagnostic en vue d’incarner une alternative. Mais même de ce côté là, rien n’est joué. Il était récemment au Danemark. Lorsque l’on connaît la politique migratoire de ce pays, on peut se dire qu’il n’y a pas de volonté particulière de répondre au souhait de redistribution des réfugiés, par quotas, au sein des Etats membres.

On voit d’ailleurs, concrètement, l’échec des Européens lorsqu’il s’agit du principe de solidarité entre les pays européens, fondamental dans les traités, qui peine pourtant à être appliqué.

Cette multiplication de visites n’est-elle pas aussi, pour Emmanuel Macron, une façon d’échapper au climat national qui lui est de plus en plus hostile ?

Non, je ne pense pas, car les enjeux nationaux et européens sont profondément imbriqués. Il n’y a pas d’un côté l’Europe et de l’autre, la France. Tous les problèmes sont interdépendants. Son action européenne est donc également une manière d’agir sur le plan national et de réaliser son propre programme. Il a besoin du lobby européen et inversement, l’Europe a besoin de la France pour pouvoir évoluer et avancer le projet européen. Emmanuel Macron pourra, par ailleurs, tirer le premier bilan de son action, après ces élections européennes.
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