ANALYSES

Turquie et États-Unis : « La ligne rouge ne sera pas franchie »

Presse
17 août 2018
La crispation actuelle entre Ankara et Washington est-elle uniquement due aux accusations qui pèsent sur Andrew Brunson ?

C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase mais il y a une tension persistante entre les États-Unis et Ankara depuis de nombreux mois, voir années. La première divergence importante est celle concernant les Kurdes de Syrie du Parti de l’union démocratique (PYD) que les dirigeants turcs considèrent comme terroristes et que les Américains ont soutenu militairement en Syrie face à Daesh. C’est une divergence fondamentale même si, ces deux derniers mois, une négociation semblait avancer sur cette question.

De plus, les sanctions américaines contre l’Iran ont pris effet il y a une quinzaine de jours : Trump veut serrer la gorge de l’Iran ce qui nécessite de mettre les Turcs au pas. Ils n’y sont pas disposés car ils ont trop besoin du pétrole iranien.

Pourquoi la crise diplomatique a-t-elle de telles conséquences économiques ?

L’économie turque, malgré un taux de croissance époustouflant connaît des difficultés structurelles : un manque de liquidités et donc des emprunts extérieurs et une industrie très endettée… Il y a depuis fin 2017 un décrochage de la livre turque par rapport au dollar et une inflation qui repart. Ces difficultés sont structurelles même si les tensions actuelles les amplifient.

Recep Tayyip Erdogan s’est entretenu cette semaine avec Emmanuel Macron et Angela Merkel : il y a t-il réellement un rapprochement entre la Turquie et l’Europe suite à cette crise ?

C’est une séquence classique et ce n’est pas la première fois : quand il y a des tensions avec les Américains, comme par enchantement, la Turquie fait de grands sourires aux Européens. Mais, ne nous leurrons pas : je ne crois pas que quelques coups de fil puissent refonder la relation entre l’Union Européenne et la Turquie, les contentieux sont là aussi, nombreux et variés. Bien sûr, il vaut mieux se parler aimablement que s’insulter mais une hirondelle ne fait pas le printemps,

Comment voyez-vous la situation évoluer ?

Les choses vont rentrer dans l’ordre. La tension est montée aussi du fait des deux égos aiguisés de Donald Trump et Recep Tayyip Erdogan mais il faudra bien négocier. Je ne crois pas à l’hypothèse d’une vraie rupture et d’une sortie de la Turquie de l’Otan. Ankara a trop intérêt à rester dans l’Otan. Et, pour les États-Unis, c’est pareil : la Turquie est un point d’appui encore solide dans la région qu’il ne peuvent pas sacrifier. La tension est réelle mais chacun sait jusqu’où ne pas aller. La ligne rouge ne sera pas franchie.
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