ANALYSES

Mais que se passe-t-il en mer de Chine méridionale ?

Presse
27 août 2018
Dans un rapport publié la semaine dernière, le département de la défense américain avertit sur la possible introduction de matériel nucléaire par Beijing en mer de chine méridionale suscitant l’inquiétude de Manille. Si elle se vérifie, que penser de cette introduction compte tenu de l’accord de la Chine pour adhérer un code de conduite dans la région ?

Le code de conduite associant la Chine et les pays de l’Asean sur la mer de Chine méridionale, s’il a le mérite de rompre avec une tradition d’approches bilatérales peu propices à un règlement définitif des différends, reste une promesse plus qu’une réalité consommée. Difficile de savoir s’il sera respecté par les différents acteurs engagés d’une part, difficile aussi de savoir quelle interprétation de l’équilibre dans la région est faite par les acteurs concernés. En clair, ce code de conduite est fragile.

Cependant, mettre en avant les capacités nucléaires chinoises (nous parlons ici des sous-marins nucléaires) dans la zone comme un nouveau problème est faire preuve d’une très grande hypocrise. D’abord parce que le patrouillage de ces engins dans la zone ne date pas d’hier et ne concerne pas que la Chine, et ensuite parce que la base navale au sud de la province de Hainan est directement orientée vers la mer de Chie méridionale. En clair, les sous-marins chinois doivent nécessairement passer par cette zone pour entrer et sortir de leur base. Le problème serait cependant plus sensible si la présence de matériel nucléaire stationné dans les îles polderisées était avérée. Mais cela ne semble pas être actuellement le cas.

Posons plutôt le problème à l’envers, en nous demandant à quoi doit servir un rapport de ce type. Les inquiétudes, sans doute légitimes, exprimées par des acteurs de la région sont la réponse. Dans le jeu de dupes que se livrent Washington et Pékin, l’objectif est de s’attirer la sympathie des acteurs régionaux, et la diabolisation de l’autre est l’arme la plus efficace.

Le président Philippin Rodrigo Duterte le 17 août a déclaré penser que la Chine « sera juste » dans ses revendications en mer de Chine et que les Philippins verront peut-être Beijing comme « un bon voisin ». Cette vision du président philippin n’est-elle pas très optimiste considérant les activités de la Chine dans les Spratley’s Islands et compte tenu du fait que, selon un sondage, huit philippins sur dix pensent que la Chine ne devraient pas être laissée sans surveillance dans les eaux pouvant être revendiquées par les Philippines ? Que penser de l’attitude de Rodrigo Duterte sur cette question ?

Depuis son arrivée au pouvoir il y a deux ans, Rodrigo Duterte a alterné le chaud et le froid dans la relation avec la Chine. Il déclarait encore en mai dernier qu’il était prêt à la guerre avec la Chine si cette dernière ne respectait pas ses engagements… Derrière ce qui ressemble à une ambivalence se cache un style fondé sur une approche très réaliste (et sans doute propre au populisme de Duterte, qui cherche avant tout à asseoir son leadership et sa crédibilité en interne), et qui ressemble parfois dans la méthode à ce que fait Donald Trump aux Etats-Unis, à savoir jouer sur une rhétorique musclée pour étendre le champ de la négociation. Le problème est que les Philippines ne sont pas les Etats-Unis, et les propos du président philippin sont ainsi à mettre en relation avec les capacités dont il dispose, a fortiori face à un géant comme Pékin. Mais clairement, il n’est pas dans une logique de confrontation avec Pékin, et privilégie au contraire un rapprochement dont il espère définir les contours et dans lequel il souhaite surtout trouver des avantages. Il ne fait que symboliser une tendance qui se généralise à l’ensemble de la zone, et se caractérise par un principe de soumission à Pékin en échange de faveurs, souvent associées aux projets des nouvelles routes de la soie et les investissements massifs qui l’accompagnent.

L’analyste Ted Galen Carpenter dans une tribune publiée sur « China US Focus » explique que les Etats-Unis devraient faire de modestes concessions à la Chine pour faire baisser les tensions en mer de Chine. Mais n’est-ce pas là la pire des choses à faire et une approche très naïve des objectifs chinois ?

L’idée de faire quelques concessions à la Chine n’est pas nouvelle aux Etats-Unis, et s’inscrit dans une mouvance intellectuelle qui fait la promotion depuis quelques années d’un « Grand Bargain » (grand marchandage) dans la relation Washington-Pékin. Ce marchandage doit, selon ceux qui le défendent, permettre aux Etats-Unis de conserver des acquis en Asie, là où une attitude plus agressive vis-à-vis de Pékin se traduirait inexorablement par un recul de Washington. Ce principe de négociation s’appuie sur une vision réaliste des développements dans la zone et des rapports de force entre grandes puissances, et associe des réflexions géopolitiques et économiques. L’idée est ainsi de trouver un équilibre permettant d’éviter un basculement vers un hégémon et donc, en d’autres termes, de s’assurer que chacune des grandes puissances y trouve son compte. La politique asiatique de l’administration Trump semble accorder au Grand Bargain un certain crédit, en faisant des échanges commerciaux la pierre angulaire de la relation avec Pékin, et en refusant un rapport de force stratégique avec la Chine dans la zone. A l’inverse, et à titre d’exemple, la stratégie du pivot vers l’Asie de l’administration Obama, portée à l’époque par Hillary Clinton, cherchait à maintenir l’hégémon américain dans la zone, notamment en s’appuyant sur plusieurs partenaires régionaux. Cette stratégie n’est pas parvenue à endiguer la montée en puissance chinoise, aussi bénéficie-t’elle désormais de peu de crédit. L’analyse de Ted Galen Carpenter, du think tank conservateur cato Institute, s’inscrit dans cette réflexion. Plutôt que de préconiser un rapport de force qu’il juge contre-productif et presque contre-nature (si on se réfère à l’irrésistible montée en puissance chinoise), il cherche une solution de compromis pouvant permettre aux Etats-Unis de s’associer à la Chine dans la région, plutôt que de chercher à la contrer. L’idée n’est pas mauvaise, et le diagnostic de l’échec de la stratégie du pivot est sans doute pertinent. Problème cependant, il semble sur ce dossier comme sur d’autres que les analystes américains fonctionnent en cercle fermé, sans tenir compte des souhaits de Pékin, tout autant que de ses capacités. Ainsi, que pensent les Chinois du Grand Bargain? C’est sur ce point que la « naïveté » mentionnée ici trouve son sens, et traduit les limites de la politiques asiatique (pour ne pas dire chinoise) de Washington, d’une administration à l’autre.
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