ANALYSES

Au Pakistan, la démocratie à l’épreuve

Presse
19 juillet 2018
Interview de Olivier Guillard - Les Echos
Fin juillet, dans la fournaise estivale enveloppant le sous-continent indien, le Pakistan, voisin contrarié de la « plus grande démocratie du monde » (Inde), conviera aux urnes les 106 millions d’individus inscrits sur les listes électorales pour renouveler le Parlement et désigner le prochain chef de gouvernement.

Ce dernier succédera au discret S. K. Abbasi pour devenir le 19e Premier ministre d’une République islamique davantage accablée par les maux (militantisme radical, violence interconfessionnelle, terrorisme – quarante incidents et 200 victimes au premier semestre 2018 -, tensions avec l’Inde) et les carences (mauvaise gouvernance, crise énergétique, omnipotence de l’armée) que bercée par la sérénité.

Violences préélectorales

Dans ce pays en développement abritant la 5e population mondiale, un historique de violence préélectorale et de contestations de l’issue des scrutins invitera l’électeur et l’observateur à la prudence. Ce, d’autant plus que ce rendez-vous politique ne se déroulera pas dans une atmosphère exempte de tension ; une trame bien familière dans cette partie du sous-continent indien…

Sous le regard de la très influente institution militaire (Pakistan Army) – qui, depuis l’indépendance du pays à l’été 1947, accapara le pouvoir une quarantaine d’années par une succession de coups d’Etat -, les électeurs devraient renouveler leur confiance à la Pakistan Muslim League (PML-N) de l’ancien Premier ministre Nawaz Sharif. Peu importe le fait que ce prospère industriel du Punjab ait été – une nouvelle fois – démis de ses fonctions avant le terme de son mandat, en juillet 2017, pour des faits de corruption.

Ancienne gloire du cricket

Une hypothèse qui pourrait néanmoins indisposer les généraux. Discrets sur le sujet, les austères hommes en uniforme préféreraient un succès électoral du Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI ; Mouvement du Pakistan pour la Justice), la formation du flamboyant Imran Khan, ancienne gloire nationale de cricket reconverti en politique deux décennies plus tôt.

Un personnage charismatique disposant d’une certaine audience (20 % des intentions de vote) et d’une relative bienveillance de l’armée. En 2018, cette dernière est notoirement moins à son aise avec la PML-N de la famille Sharif ou encore avec le parti de la dynastie Bhutto (Pakistan People Party – PPP), peu en cour aujourd’hui auprès des électeurs.

Peu représentées jusqu’alors dans les enceintes parlementaires (une quinzaine de sièges sur 342 à l’assemblée nationale), les formations politico-religieuses ne paraissent pas en mesure d’infléchir la donne ; d’autant que certaines appellent au boycott des élections du 25 juillet.

Scrutin sous haute tension

A scrutin sensible et issue incertaine, protocole sécuritaire adapté : la police et les forces armées seront déployées en nombre (350.000 hommes selon la Commission électorale) pour garantir aux citoyens, dans la mesure du possible, des conditions de sécurité satisfaisantes le jour du scrutin ; une entreprise qui, comme pour les élections générales précédentes, n’ira pas nécessairement de soi.

Vingt ans après le dernier coup d’Etat militaire (1999), l’omnipotente caste des généraux se posera une fois encore en hypothèque du fragile édifice démocratique pakistanais. La susceptibilité de la fière institution martiale pourrait mal s’accommoder du soutien dont dispose la PML-N auprès de l’électorat.

Une configuration partisane et comptable susceptible de diviser l’opinion, de nuire à l’ordre public et d’alimenter le courroux de la Pakistan Army ; des augures peu favorables dont se passeraient pourtant le « pays des purs », déjà exposé à un quotidien ténu. Sa périphérie également, certaines capitales régionales (New Delhi, Afghanistan) souffrant plus souvent qu’à leur tour des soubresauts domestiques divers éreintant ce fébrile voisin pakistanais.
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