ANALYSES

La liesse, et après ?

La victoire de l’équipe de France masculine de football au Mondial 2018 pose la question des répercussions de cet événement pour la société française, autrement dit de la manière dont les décideurs, publics et privés, doivent en faire une opportunité de développement au service de l’intérêt général. Ces répercussions, il importe également de se donner les moyens de les mesurer.

Le sport, accélérateur de progrès

Dans le commentaire médiatique ou politique – si les représentations angélistes ou déclinistes sur le football sont trompeuses – les slogans et les discours peuvent, quant à eux, être performatifs, à la condition qu’ils s’accompagnent d’une volonté réelle des responsables politiques, administratifs, économiques et fédéraux de se servir, enfin, de ce sport et de tous les sports comme d’un levier de transformation sociale durable. Le sport ne peut pas tout mais il peut être un accélérateur de progrès pour la société et l’économie françaises. Le changement par le sport ne se décrète pas, il s’impulse, s’accompagne, se soutient. Y croire ne suffit pas ; le dire est un début.

Le storytelling de la victoire par le travail et l’abnégation, mais aussi celui de la fraternité et de la solidarité est, sans surprise, déjà récupérés par le secteur marchand : même le marketing de marques qui n’ont rien à voir avec le sport se veut opportuniste. Comment ne pas miser sur ce phénomène aussi médiatisé, aussi populaire qu’un Mondial masculin de football, dès lors que l’équipe de France accède à, et remporte la finale ?

Pourquoi nos élus, dont plusieurs répètent, à tort, que « le football n’est pas politique » ou qu’« il ne faut pas mélanger sport et politique » – en réduisant l’acception de l’épithète « politique » –, ne se saisiraient-ils pas de cet événement pour construire ou confirmer un agenda émancipateur, des politiques publiques innovantes, en faveur de toutes et de tous ?

La liesse collective de la victoire démontre qu’il existe une capacité de cohésion et de partage de la société française, que les décideurs sous-estiment. C’est aussi un savoir-faire des clubs de football qui, dans tous les territoires, est mis en lumière. La France figure parmi les premiers pays du monde dans la formation de footballeurs que l’on retrouve, ensuite, dans les plus grands clubs professionnels européens. Sans sous-estimer le travail fait en centres de formation, le succès des Bleus est aussi celui du foot amateur et du bénévolat sportif. Quand reconnaîtra-t-on, valorisera-t-on à sa juste mesure l’engagement de ces milliers d’hommes et de femmes en faveur de l’éducation, de l’insertion et de la mixité, sans lequel le sport fédéral ne pourrait fonctionner en France – comme en Europe ?

Un autre regard sur la jeunesse de banlieue

Qu’elle joue au football ou qu’elle ait d’autres compétences, d’autres motivations, d’autres espoirs, c’est aussi un zoom sur la jeunesse des banlieues populaires que cette coupe du Monde permet. Il suffit, pour finir de s’en convaincre, de lire plusieurs grands titres de la presse étrangère qui ne cessent de s’étonner de la manière dont, en France, ces territoires et leurs habitants sont décrits : toujours en négatif. Or l’occasion est exceptionnelle pour élaborer un contre-récit puissant face aux discours identitaires, déclinistes, excluants. Si la France est, aujourd’hui, réconciliée avec son équipe masculine de football à laquelle elle s’identifie, si cette équipe aide à renforcer un « nous » national, il faut, sans idéalisme, sans incantation, faire nôtre l’idée qu’une diversité d’origines et de talents constitue la richesse de notre société. 1998 a été une occasion manquée ; à peine quatre ans plus tard, le Front National accédait pour la première fois au second tour de l’élection présidentielle. Il serait dommage de faire la même erreur.

Évaluer les retombées des grandes compétitions

C’est pourquoi l’optimisme, la confiance, les potentialités des territoires en termes économiques, sociaux et sociétaux non seulement doivent donner lieu à des politiques promouvant le sport et s’appuyant sur le sport pour construire une société meilleure et plus égalitaire, mais ces politiques doivent aussi être évaluées. Pour ce faire, au-delà des sondages d’opinion, ce sont des travaux scientifiques, comparés, interdisciplinaires de sciences humaines et sociales qu’il faut promouvoir, financer et visibiliser. La science participative, fondée sur des expériences et des expertises des acteurs de terrain, en est une dimension.

L’agenda, c’est tout d’abord la lutte contre les inégalités dans la pratique d’une activité physique et sportive. Les enfants, aujourd’hui, sont plus sédentaires que leurs aînés ne l’étaient au même âge. Si elles sont de plus en plus nombreuses parmi les licenciées de clubs, et notamment dans le football, les femmes font toujours moins d’activité physique que les hommes, surtout dans les milieux populaires, quel que soit leur territoire de vie. L’accessibilité aux infrastructures sportives pour les personnes en situation de handicap est encore balbutiante. L’utilisation de pratiques sportives adaptées dans la prévention de, et la lutte contre certaines pathologies demeure également trop timide en France.

L’agenda, c’est aussi, par exemple, la valorisation, dans les parcours professionnels et de formation tout au long de la vie, des compétences acquises dans le bénévolat. Ce sont ces smart skills sur lesquelles la transformation des métiers, occasionnée par les progrès du numérique et de l’intelligence artificielle, impose de capitaliser, en particulier pour les moins diplômés. Ce ne sont que quelques illustrations.

La coupe du monde féminine de football se tiendra en France dans quelques mois. Cet événement majeur pour le sport français ne peut que prolonger la dynamique qui, souhaitons-le, s’engagera très bientôt pour faire du football et du sport en général à la fois un laboratoire d’étude de la société française, des nouveaux modes de vie et des nouveaux besoins, et un levier d’innovation politique via une approche en termes d’investissement social.
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