ANALYSES

Les relations stratégiques franco-japonaises : une histoire déjà ancienne

Tribune
10 juillet 2018


A l’occasion du 160e anniversaire des relations diplomatiques entre la France et le Japon en 2018, une série de manifestations culturelles sur le thème « Japonismes 2018 : les âmes en résonance » sont organisées entre juillet 2018 et février 2019. Mais si l’intérêt culturel pour le Japon remonte au XIXe siècle et perdure depuis, les relations entre la France et l’Archipel se sont développées dans tous les domaines, y compris militaire et stratégique dès cette époque.

Une coopération ancienne

La coopération militaire entre le Japon et la France remonte à la deuxième moitié du XIXe siècle. Le Japon a demandé l’aide de la France dans la construction d’un arsenal à Yokosuka. En 1867, le capitaine Chanoine est envoyé à Yokohama pour créer une école militaire. Plus tard, au début du XXe siècle, elle forme les premiers pilotes japonais. En 1915, des officiers japonais sont même envoyés sur le front européen. Puis en1919, les forces japonaises participent au défilé de la victoire aux Champs-Élysées le 14 juillet 1919. Pendant l’entre-deux-guerres, les relations sont plus tendues, le Japon entreprenant la conquête de la Chine. Puis, la guerre éclate et le Japon prend possession des colonies françaises, notamment de l’Indochine dont il proclame l’indépendance à la fin du conflit. Le Japon est finalement défait.

La France signe le traité de paix avec le Japon de San Francisco en 1951 et devient ainsi un allié de ce pays. Depuis 1994, les deux pays tiennent des consultations annuelles pour échanger sur les questions de sécurité et de stratégie régionales.

En juin 2013, le président François Hollande est le premier président français à s’être rendu au Japon depuis 17 ans. Une déclaration commune est publiée couvrant différents domaines, dont l’économie et la sécurité, notamment sur l’approfondissement de la coopération en matière de lutte contre le terrorisme et la piraterie, et dans le domaine des équipements de défense.

En janvier 2014, la première réunion « 2+2 » (ministres de la Dfense et des Afaires étrangères des deux pays) s’est tenue, l’occasion de reconnaître l’importance de la liberté de la mer et de vol aérien. Un accord a été établi pour établir un cadre pour deux dialogues concernant les mesures pour les contrôles des exportations d’armements et la coopération en matière d’équipement de défense. En mai 2014, le Premier ministre Shinzo Abe s’est rendu en France. Les deux chefs d’État se sont mis d’accord pour commencer les négociations sur un accord de défense et de coopération. Le dialogue politico-militaire au niveau des ministres des Affaires étrangères et de la Défense, instauré en 2014, a tenu sa troisième session en janvier 2017. Un accord intergouvernemental relatif au transfert d’équipements et de technologies de défense signé à cette occasion est entré en vigueur le 2 décembre 2016.

Domaines de coopération

Sur le plan des équipements, le ministre de la Défense français, Jean-Yves Le Drian, a déjà déclaré que la coopération militaire portera sur la robotique militaire, ainsi que les systèmes pilotés à distance comme les drones sous-marins. Sur le plan opérationnel, il est question d’une coopération accrue entre les forces françaises et japonaises basées à Djibouti, dans la Corne de l’Afrique, ainsi que la participation de Tokyo à des exercices d’aide humanitaire et l’échange d’informations. La France et le Japon ont adopté, en octobre 2015, un Plan franco-japonais pour le développement durable, la santé et la sécurité en Afrique. Le partenariat entre les deux pays n’a cessé de se renforcer ces dernières années dans le cadre de la feuille de route conjointe 2013-2018, notamment sous l’impulsion d’un sommet annuel entre les deux pays.

Un accord des deux pays oblige ces deux États à effectuer un contrôle strict sur les armes afin qu’elles ne soient pas transférées vers des pays impliqués dans des conflits, et que l’usage de technologies civiles ne soit pas détourné vers des usages militaires. Notons qu’il existe déjà une coopération industrielle militaire par exemple avec le groupe français Thales qui fournit des mortiers de 120 millimètres produits sous licence, mais aussi des radars pour les sous-marins japonais. Un contrat peut aussi être envisagé dans le domaine des hélicoptères : les self-defense forces japonaises songent à remplacer 150 hélicoptères et envisagent de coopérer avec Airbus Helicopters notamment.

Mais les deux pays peuvent être en concurrence par exemple en Australie. La Royal Australian Navy a souhaité remplacer ses 12 sous-marins de la classe Collins. Le Japon était intéressé par ce contrat avec ses sous-marins de la classe Soryu. Mais c’est la France qui a été choisie avec DCNS, devenue Naval Group, qui construit les sous-marins nucléaires Barracuda.

L’intérêt de la France pour la région

« La France est une puissance de l’océan Indien et du Pacifique », comme l’a dit le Livre blanc de la défense français de 2013. En effet, elle a 120 000 ressortissants qui travaillent dans les pays d’Asie-Pacifique. 500 000 Français habitent dans le Pacifique et plus de 1 million autour de l’océan Indien. Le Livre blanc insiste sur l’intérêt de la France pour cette région au poids économique croissant et aux enjeux sécuritaires importants. La France est présente militairement avec 2 500 militaires dans le Pacifique (Nouvelle-Calédonie, Polynésie…) et 18 attachés militaires. Elle participe à différents forums de sécurité comme Shangri-La ou l’Asia Regional Forum. Elle a des accords militaires avec de nombreux pays comme l’Inde, la Malaisie (pour laquelle elle construit la flotte sous-marine), ou encore Singapour. Elle a participé à différentes missions militaires en Afghanistan, dans le cadre de l’opération Atalante anti-piraterie, lors d’opérations humanitaires comme après le typhon Hainan …

Les budgets de la défense des deux pays sont proches de 50 milliards de dollars chacun. Sur le plan économique, les échanges bilatéraux entre la France et le Japon sont conséquents : les deux pays sont le 11e partenaire commercial et économique. Le Japon est le 2e partenaire commercial de la France en Asie et le 1er investisseur asiatique en France. Les échanges commerciaux bilatéraux s’élèvent à 15,6 Mds € en 2016 avec un déficit de 3,14 Mds € pour la France. La dernière session du Dialogue économique et financier au niveau du ministre de l’Économie et des Finances s’est tenue le 29 juillet 2016 à Paris. Enfin, entre l’Union européenne et le Japon, le commerce bilatéral correspond à environ 100 milliards d’euros.

Comme le souligne le ministère des Affaires étrangères français, le partenariat avec le Japon est un partenariat d’exception. Souhaitons qu’il perdure pendant les prochaines décennies où l’Asie deviendra le centre du monde, continent dans lequel l’Europe peut développer son modèle démocratique à condition de surmonter ses propres crises.
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