ANALYSES

Responsabilités et entreprises : quel rôle pour le Medef et son nouveau président ?

Interview
5 juillet 2018
Le point de vue de Sylvie Matelly


Dans leur nouveau rapport « Égypte : une répression made in France », quatre ONG dénoncent l’implication d’entreprises françaises dans le mouvement de répression en Égypte. Cette affaire est l’illustration que les questions tant sociétales, environnementales que politiques concernent et menacent de plus en plus les entreprises. Alors que le Medef vient d’élire son nouveau président, de quelle manière les entreprises françaises ont-elles intégré ces problématiques ? Et comment l’État français légifère-t-il sur ces points ? Le point de vue de Sylvie Matelly, directrice adjointe de l’IRIS.

Geoffroy Roux de Bézieux vient d’être élu à la tête du Medef.  Comment cette organisation, porte-parole du patronat, s’est-elle jusqu’alors positionnée sur la responsabilité sociale des entreprises dans le débat public et notamment celles œuvrant à l’international et parfois dans des zones difficiles ? Le débat est-il en train de bouger sur ces thèmes ?

Le Medef s’est pour l’instant essentiellement positionné sur les questions de RSE (responsabilité sociale des entreprises) de manière assez classique : réflexion et débats, conseils aux entreprises, questions sociales directement liées à l’activité des entreprises (conditions de travail par exemple), etc. Il est dans son rôle puisque le Medef est censé être l’organisme représentant les patrons dans les négociations sociales comme les syndicats (CFDT, CGT, etc.) représentent les salariés dans ces mêmes négociations. Et force est de constater que le Medef ne représente qu’une partie de ces « patrons » : sur les 600 000 entreprises présentes en France, seules 120 000 entreprises sont adhérentes au Medef.

Pour revenir à la notion de responsabilité des entreprises, ce concept s’est très fortement élargi ces dernières années et il dépasse la seule sphère sociale interne à l’entreprise. Cette notion de responsabilité prend de plus en plus d’importance partout dans le monde à destination des entreprises. Les entreprises françaises, sauf à avoir été sous le feu des projecteurs ou poursuivies, restent assez peu conscientes de l’ampleur de ces évolutions et des risques qu’elles font peser sur leurs activités, mais aussi leur intégrité. Le Medef aurait un rôle évident à jouer pour faire avancer la prise de conscience, mais il demeure aujourd’hui assez peu présent sur ces sujets. Il est probablement difficile de mobiliser des dirigeants d’entreprises peu au fait de ces sujets, et de trouver une position commune là où certains patrons considèrent que la finalité d’une entreprise, c’est d’abord le profit et la rentabilité alors que d’autres sont déjà très engagés dans la réflexion sur les enjeux de la responsabilité… C’est le cas pour ne citer qu’eux de Jean-Dominique Senard (Michelin), co-auteur avec Nicole Notat du rapport « Entreprise et intérêt général » remis au gouvernement en mars dernier, Franck Riboud, PDG de Danone ou encore Isabelle Kocher chez Engie.

Ces dirigeants considèrent que la question de responsabilisation de l’entreprise est une question de survie aujourd’hui, et peut même être un atout : une entreprise responsable est une entreprise respectée par ses parties prenantes, probablement moins vulnérable et plus à même d’affronter les défis complexes et multidimensionnels qui se posent aux entreprises globales (environnement, géopolitique, social et sociétal, etc.).

Le nouveau patron du Medef pourrait exploiter ces thématiques pour récréer une nouvelle dynamique au sein du MEDEF. Au vu des différentes affaires ou polémiques qui fragilisent les entreprises ces temps-ci (affaire syrienne pour Lafarge, ventes d’armes aux Saoudiens, crise humanitaire au Yémen, retrait américain du JCPOA et conséquences pour les entreprises, questions des droits de l’homme…)

Le projet de la loi “Pacte” a été présenté en Conseil des ministres le 18 juin dernier. Par cette loi, une nouvelle inflexion serait donnée à l’économie, avec une prise en compte de l’objet social et environnemental qui incombe aux entreprises. Quelle est votre analyse de cette nouvelle loi ? A-t-elle le potentiel pour responsabiliser durablement l’entreprise ? 

Ce projet introduit, entre autres mesures, la question de l’objet social de l’entreprise. On est encore loin de la notion de responsabilité et rien ne dit que cette notion ne soit pas aussi un alibi à tout le reste… On peut aussi si l’on veut être optimiste se dire que c’est un début qui traduit une évolution dans la vision de ce qu’est l’entreprise, ou dans ce que l’on voudrait qu’elle soit. C’est en effet une reconnaissance à demi-mot du lien entre les dimensions économiques et sociales. La notion de « responsabilité » va toutefois bien au-delà. Aujourd’hui, les entreprises sont critiquées, voire attaquées sur des sujets beaucoup plus graves par les ONG ou la société civile. Or, elles ne semblent pas comprendre les implications de cela. La question de la lutte contre la corruption est de ce point de vue un cas d’école. La lutte contre la corruption a démarré aux États-Unis dans les années 1970, avec une loi extrêmement sévère et il a fallu que plusieurs entreprises françaises soient condamnées aux États-Unis pour qu’une loi comparable à celle de ce pays soit votée. C’est la loi Sapin 2 (relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique) adoptée en décembre 2016, soit 40 ans après le FCPA américain. Au-delà des dates, ce qui est important à noter, c’est le retard pris tant par les autorités judiciaires que par les entreprises françaises, retard qui constitue un véritable handicap à tous les niveaux !

De plus, il y a un enjeu encore plus fort en France que dans d’autres pays lié aux spécificités françaises des entreprises : d’abord la perception plutôt négative que ces dernières ont auprès de l’opinion publique ; ensuite, l’existence de nombreux « champions nationaux » présents partout sur la planète donc très exposés.

Encore une fois, le Medef pourrait apporter des réponses afin d’aider les entreprises face à ces questions politiques et d’évolutions sociétales.

Quatre ONG viennent de publier un rapport accusant plusieurs entreprises françaises de participer à l’écrasement du peuple égyptien ces cinq dernières années, en fournissant au régime d’Al-Sissi du matériel militaire et de surveillance, et demandent une enquête parlementaire. Est-il possible de responsabiliser politiquement et moralement l’entreprise et ses choix, et est-ce leur rôle ? L’entreprise doit-elle être un vecteur de promotion des libertés et droits fondamentaux ?

L’avenir nous le dira, mais nul doute que la pression sur les entreprises est encore en train de s’amplifier ! La semaine dernière, c’était l’entreprise Lafarge accusée de « crime contre l’humanité », cette semaine ce sont les entreprises de défense… Dans l’absolu, il est évident que tout acteur doit devenir à terme un vecteur de promotion de libertés et droits fondamentaux et que cela relève de la responsabilité de chacun, cela ne fait aucun doute.

Pour autant, le fait de mettre les entreprises en première ligne sur tous ces sujets est probablement excessif et c’est ce que pensent la plupart des dirigeants de ces entreprises. C’est ce qui est en train de se passer et le balayer d’un revers de main risque d’amplifier encore le périmètre et les exigences posées aux entreprises. Il est indispensable d’y réfléchir et pour les entreprises, de démontrer qu’elles ne snobent pas le sujet. Sinon, elles seront toujours les accusées sans qu’elles soient préparées à ces difficultés et alors qu’elles n’ont pas toujours les moyens et les informations pour prévenir ces faits.

Pour illustrer ce propos, prenons le cas d’une entreprise qui exporterait des voitures à l’étranger. A priori, elle n’est pas exposée par ses activités à des violations de droits de l’homme et pourtant, rien ne lui garantit qu’à un moment donné, ce ne sera pas le cas. Elle doit donc prendre en compte ce risque, travailler avec les pouvoirs publics et les ONG pour l’identifier et le prévenir. Aujourd’hui, à la moindre alerte, une loi contraignante est mise en place qui pénalise souvent les entreprises par rapport à leurs concurrents étrangers. Il serait peut-être plus utile qu’une réflexion commune soit engagée permettant un autre dialogue social et sociétal. C’est un défi évident et essentiel pour le nouveau président du Medef !
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