ANALYSES

Elections en Turquie : le pouvoir en solitaire

Presse
21 juin 2018
Pourquoi Erdogan a-t-il voulu ces élections anticipées, un an seulement après un référendum constitutionnel très controversé ?

Plusieurs raisons à cela. D’abord, Erdogan veut profiter rapidement des mesures introduites par le référendum de 2017. C’est un homme qui aime beaucoup le pouvoir et le vote de l’an dernier a renforcé ses tendances autoritaires. Ensuite, la situation économique en Turquie est pour le moins « turbulente ». Dès lors que les résultats sont moins bons, une partie de son électorat risque d’être captée par l’opposition.

Autre raison de ce retour précipité à la sanction du peuple ?

Une autre raison tient à la mystique nationaliste qui s’est emparée de la Turquie, entre janvier et mars de cette année au moment de l’opération Rameau d’olivier contre les combattants du PYD (parti kurde syrien) au nord de la Syrie. C’est à partir de là que les sondages sont repartis à la hausse pour lui. Erdogan sait utiliser les vagues de nationalisme et il a décidé d’en profiter.

Erdogan a été élu au premier tour en 2014. Une mise en ballottage, dimanche, serait-elle interprétée comme le début de la fin pour lui ?

Erdogan est opposé à cinq autres candidats, alors qu’il n’avait qu’un rival face à lui en 2014. Selon les sondages, on se dirige probablement vers un second tour pour la présidentielle. Mais même s’il est réélu, comme attendu, une redistribution des cartes politiques est d’ores et déjà engagée…

Les législatives s’annoncent très indécises. L’homme fort a-t-il présumé de son sens politique ?

Erdogan a un peu « perdu la main » : il a fait une erreur tactique monumentale en modifiant la loi électorale. Il avait prévu, en autorisant les coalitions, que l’alliance entre son parti (AKP) et l’extrême droite (MHP) allait mécaniquement amplifier son score. Mais cette dernière s’est affaiblie et il n’avait pas prévu que les partis d’opposition fassent une coalition, comme c’est le cas cette année avec quatre partis réunis autour des sociaux-démocrates du CHP pour les législatives. Reste la grande inconnue : l’ampleur de la fraude électorale dimanche.

La coalition de l’opposition apparaît, elle aussi, de pure forme ?

Aujourd’hui, deux blocs s’affrontent – l’un autour du parti islamo-conservateur AKP, celui d’Erdogan (majoritaire au parlement), l’autre autour du CHP – qui font presque jeu égal. Le président turc a totalement sous-estimé la capacité de l’opposition de s’unir, certes sur un plus petit dénominateur commun : « Tout faire pour virer Erdogan.» La coalition d’opposition est très hétéroclite. Il n’empêche, cela entrave considérablement ce dernier.

Autre grande inconnue : le résultat du parti pro-kurde ?

Effectivement, la grande question est de savoir si le HDP (parti de gauche issu du mouvement politique kurde, ndlr) parviendra à faire plus de 10%, barre fatidique pour rester au parlement. Le HDP a fait une bonne campagne, difficile, d’autant plus que son chef (Selahattin Demirtas, candidat à la présidentielle, ndlr) est en prison. Par choix démocratique, certains électeurs du centre gauche pourraient décider de voter pour ce dernier.

Quelles ont été les promesses faites par Erdogan pour maintenir l’AKP au pouvoir ?

Tout d’abord, la campagne électorale a été d’un niveau affligeant, pleine d’insultes entre les différents camps. Deuxièmement, chacun promet la sécurité, l’amélioration de l’économie, des bourses pour les étudiants, l’augmentation des primes pour les retraités, etc. Erdogan promet d’élargir les libertés et de propulser la Turquie dans le top ten des puissances économiques. Il fait aussi toujours référence à l’agression dont est victime son pays à la fois de l’extérieur et de l’intérieur (Kurdes, partisans de Fethullah Gülen, etc.) pour prouver qu’il est le seul à pouvoir protéger la Turquie de façon efficace.

Après 15 ans de pouvoir de plus en plus solitaire, Erdogan est-il encore en phase avec la société turque ?

Il conserve une véritable base populaire, il a encore de la ressource… Mais le peuple turc, très politisé, a été lourdement malmené depuis le coup d’État de 2016. La société, du moins une partie d’elle, va donc utiliser toutes les possibilités offertes pour manifester sa résistance à l’ordre erdoganien. Image de cet esprit de résistance, le référendum de 2017 : après avoir utilisé tous les moyens de l’État et l’essentiel des médias durant la campagne, Erdogan n’a obtenu que 51,4% des voix. Un signal d’avertissement.
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