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Donald Trump et les migrants : les raisons du jusqu’au-boutisme

Presse
20 juin 2018
L’affaire est partie des réseaux sociaux et a choqué toute la planète : une vidéo a été partagée des centaines de milliers de fois et on y entend des cris d’enfants qui sont enfermés dans une cage. Qui aurait pu imaginer que cela se passerait aux États-Unis, au XXIe siècle, et qu’il s’agissait là du résultat d’une politique officielle, voulue par le gouvernement et totalement assumée ? La colère a alors bien souvent pris le pas sur la surprise et l’effroi, poussant finalement le Président à reculer.

Argument de campagne

Le monde entier sait pourtant que la question de l’immigration est centrale dans le dispositif Trump : ce dernier s’est fait élire sur une seule question, celle de la construction d’un mur à la frontière sud des États-Unis, celle qui sépare le pays du Mexique. Même si aujourd’hui beaucoup de ses partisans parlent d’un programme effectivement mis en œuvre, et de promesses qui le sont tout autant, ils étaient en réalité très peu à avoir retenu bien plus que cet argument de campagne, davantage martelé qu’une rengaine à la mode.

Ayant accédé à la fonction suprême, Donald Trump a frappé fort et vite : le « Muslim ban » a laissé en plein désarroi des familles qui débarquaient dans les aéroports américains et découvraient la mise en place de cette mesure… qui n’existait pas lorsqu’ils avaient embarqué dans leur avion quelques heures plus tôt. La protestation fut immédiate et planétaire.

A l’époque, déjà, ce fut la situation des enfants qui émut, rendant incompréhensible une politique brutale, appliquée sans aucun égard pour les individus. Bien en peine de détailler son programme, Donald Trump commença alors à épouser celui de l’aile la plus conservatrice du Parti républicain.

La nomination de personnalités controversées à de très hauts postes a inquiété : Flynn, Bannon, Miller, Gorka… Autant de noms qui sont tous synonymes d’une certaine idée de l’Amérique, insistant sur les valeurs chrétiennes, mises en danger, d’après ces responsables, par la montée de l’islam.

La politique migratoire de Trump est guidée par cette idée. L’interdiction de territoire, l’arrêt du programme en faveur des réfugiés, puis l’abrogation de la loterie ou encore la mise en place d’un autre type de contrôle des visas afin de favoriser une immigration « choisie » : tout cela n’est pas sans rappeler les programmes de Theodore Roosevelt du début du XXème siècle, puis les lois sur la mise en place des quotas de 1921 et de 1924.

Politique extrême

Ce qui frappe dans l’attitude de Donald Trump, c’est sa capacité à résister à la pression, malgré la vigueur de la protestation. Il a bien entendu dévissé dans le sondages dès février et a jeté dans le rue des milliers de manifestants. Mais jusqu’à son revirement du 20 juin, il considérait être sur la bonne voie, estimant que la fermeté paye en matière d’immigration : que cela envoyait un message fort aux pays étrangers, aux éventuels candidats à la migration, qui y réfléchissent désormais à deux fois, et à ses électeurs, qui ne regrettent pas leur vote, et peuvent penser avoir enfin trouvé quelqu’un qui reste droit dans ses bottes et sur les positions pour lesquelles ils l’ont envoyé à la Maison Blanche.

Certains ont cru y voir un assentiment à leur cause et, dès l’été 2017, des débordements se sont produits, lors de manifestation de nationalistes blancs. On a bien cru, à ce moment-là, que le Parti républicain allait se retourner contre le Président : mais les hommes politiques ne sont pas tous courageux.

Or ceux qui se sont dressés dans la critique ont tous pris la porte depuis. Les autres se sont rangés comme un seul homme derrière Trump et n’entendent plus faire entendre une seule voix discordante. Les électeurs eux-mêmes leur rappellent qu’il est là parce que c’est leur choix, et ils entendent imposer cette volonté à tous les élus : les primaires ont montré que ceux qui n’étaient pas d’accord étaient sanctionnés.

Un héritage du passé

La politique suivie par Donald Trump n’est pourtant pas surprenante, puisqu’elle n’est pas nouvelle. Tout comme pour le mur, dont il endosse désormais la paternité alors que cet ouvrage existe depuis plus de dix ans. Il a proposé de le consolider et de le faire plus haut (3 mètres de hauteur), pour remplacer ce qui n’est par endroits qu’une petite palissade…

Une politique plus dure a été mise en place dès 2005 par Michael Chertoff, le deuxième ministre de la Sécurité intérieure de l’histoire américaine, sous George W. Bush. L’Amérique était alors traumatisée par l’attaque du 11 septembre 2001, et Chertoff était l’un des co-auteurs du Patriot Act. Ce responsable a alors multiplié les initiatives pour rendre, de son point de vue, son pays plus sûr, plus « étanche », moins vulnérable.

L’idée de la politique de tolérance zéro a alors germé et a pris corps sous le nom d’opération « Streamline ». Son ministère a mis en place conjointement avec le ministère de la Justice un programme pour criminaliser l’entrée clandestine aux États-Unis. Concrètement, les personnes interpellées pouvaient être jetées en prison.

C’est exactement le même programme que Jeff Session a annoncé vouloir remettre en vigueur lorsqu’il a été auditionné par le Sénat après sa nomination à la tête du ministère de la Justice. Il répondait d’ailleurs à une question posée par Jeff Flakes, le sénateur de l’Arizona, très critique de l’action de Trump, mais qui avait lui-même été l’auteur avec John McCain d’une résolution sénatoriale soutenant cette politique de tolérance zéro. Dans les États frontaliers, on considère qu’il faut toujours faire plus pour lutter contre l’immigration clandestine.

Il s’agit d’enfants…

Ce qui effraie le plus dans cette politique reste le volet qui touche les enfants. Même du temps de Chertoff, qui avait été durement attaqué, critiqué, et même traité de « nazi », l’administration américaine n’avait pas eu recours à l’enfermement des enfants. Pour être très précis, cet enfermement est banni : une décision de justice qui remonte à 1997, Flores v. Reno, interdit d’appliquer aux enfants une punition infligée à leurs parents. Une loi de 2008, William Wilberforce Trafficking Victims Protection Reauthorization Act, interdit ainsi d’emprisonner les enfants avec leurs parents.

D’ailleurs, Donald Trump a demandé lui-même au Congrès de voter en urgence une loi corrigeant cet état de fait. Mais que veut-il corriger, et comment ? Il s’abstient bien de le préciser car aucun argument ne tient dans ce domaine.

Jusqu’à l’élection de Trump, les politiques publiques américaines, même les plus dures, avaient consisté à placer en résidence surveillée les familles d’immigrants clandestins, mais sans jamais séparer les familles. Un pas a donc été franchi et ces enfants, y compris des bébés ou de très jeunes enfants, se sont retrouvés enfermés dans des cages, sans avoir jamais commis le moindre crime.

Or l’Amérique n’aime pas quand on touche aux enfants et la réaction a été à la hauteur de cette transgression, obligeant Trump à reculer.

Un nouveau Trump ?

Le mur à la frontière Sud est un élément fondamental dans le dispositif du président des États-Unis : il l’a tant promis, et si fortement que ses électeurs ne comprendraient pas qu’il puisse être au pouvoir durant quatre ans sans obtenir un seul dollar pour sa construction. Cela ferait de lui un Président faible. Conscient de cet état de fait, et alors que l’échéance des élections de mi-mandat approche (mi-novembre), il lui faut agir dans l’urgence. S’il a peu de chance de les perdre (du moins au Sénat), elles constituent un marqueur fondamental dans la politique américaine. Dès le lendemain, on ne parlera plus que de la présidentielle de 2020.

En se servant des enfants, Trump espère ainsi exercer une pression suffisante sur le Congrès pour lui arracher le financement de son mur. Il avait échoué en janvier, en tenant de l’échanger contre la régularisation des DREAMers – encore des enfants, qui ont immigré très jeunes et ont grandi aux États-Unis. Il tente aujourd’hui un ultime coup de poker, qui l’entraîne sur des sentiers nauséabonds.
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