ANALYSES

Pourquoi le Qatar a résisté au blocus voulu par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis

Presse
7 juin 2018
Alors que la crise du Golfe dure désormais depuis un an, aucun signe d’apaisement entre les protagonistes ne permet d’envisager la résolution de cette  » guerre froide  » entre les monarchies du Golfe à court ou moyen terme. Au contraire, un sentiment d’escalade gagne la région depuis quelques jours avec les menaces proférées par l’Arabie Saoudite à l’encontre du Qatar. Alors que Doha attend la livraison de missiles S-400 russes, le roi Salmane aurait envoyé une missive aux gouvernements français, britannique et américain leur demandant de faire pression pour que ce système antimissiles ne soit pas livré. Quitte à envisager une action militaire contre l’émirat gazier qui refuse d’être le vassal de son grand voisin.

Pourtant, il y un an, beaucoup doutaient de la capacité de Doha à résister au blocus organisé par le « quartet », qui regroupe l’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis, l’Égypte et Bahreïn. Alors que le Qatar fait partie du Conseil de coopération du Golfe (CCG), ces États ont imposé à son encontre un blocus terrestre, maritime et aérien sous prétexte notamment de financement du terrorisme. Mais le Qatar a surpris ses détracteurs : Doha a déployé de nouvelles routes commerciales ; la banque centrale qatarie a puisé dans ses immenses réserves pour soutenir les secteurs bancaire et financier ; et son activisme diplomatique lui a permis de s’assurer de la neutralité, voire de la bienveillance, des grandes puissances. De plus, trois éléments clés expliquent en partie l’échec du quartet à faire plier le Qatar.

Portée très vite limitée du blocus

Tout d’abord, la portée très vite limitée du blocus. Si la fermeture de la frontière terrestre avec l’Arabie Saoudite est spectaculaire et si les interdictions de survol pénalisent fortement Qatar Airways, le Qatar ne subit finalement des sanctions que de quatre pays dont la puissance n’est pas considérable. L’impact aurait été très différent si ces sanctions avaient été adoptées par le Conseil de sécurité des Nations unies ou par les États-Unis. L’exemple iranien est une parfaite illustration de la force politique et économique dont dispose Washington pour dissuader les entreprises occidentales à commercer avec Téhéran et à investir en Iran. De plus, comme le secteur énergétique, le joyau de la couronne qatarie, n’est pas affecté, les dommages pour l’émirat ne pouvaient être que limités. Les exportations pétrolières et gazières, notamment celles de gaz naturel liquéfié, se sont poursuivies sans encombre.

Surtout, la stratégie du quartet s’est rapidement montrée amateuriste et inutilement jusqu’au-boutiste. Après le choc du 5 juin, le quartet a présenté une liste de 13 demandes complètement irréaliste. Parmi celles-ci, on trouve la fermeture de la chaîne Al-Jazeera, la réduction de ses relations avec l’Iran ou encore la fermeture d’une base militaire turque. Si le Qatar les avait acceptées, cela aurait impliqué une véritable capitulation et un renoncement à être un État souverain, ce qui était évidemment politiquement impossible. De plus, cette liste avait décrédibilisé le quartet, rendant difficile pour la communauté internationale de soutenir une telle démarche contre un pays qui compte finalement beaucoup d’alliés. Le secrétaire d’État américain de l’époque, Rex Tillerson, avait alors estimé que cette liste d’exigences n’était ni raisonnable ni réalisable.

Le quartet n’a quasiment rien gagné

C’est d’ailleurs l’une des grandes erreurs d’appréciation de la coalition anti-Qatar. Si les pays du quartet, Arabie Saoudite et Émirats Arabes Unis en tête, sont partis sabres au clair et fleur au fusil en pensant que le Qatar plierait rapidement l’échine, c’est qu’ils ne doutaient pas du soutien de l’oncle Sam. Des enquêtes des médias américains ont révélé que des lobbyistes embauchés par Riyad et Abou Dhabi avaient travaillé pendant des mois en amont du blocus pour convaincre le président Trump et son entourage. Après quelques déclarations et tweets du président Trump condamnant le Qatar, Mohamed Ben Salmane et Mohamed Ben Zayed, les deux principaux instigateurs du blocus, ont sans doute cru que toute la puissance de feu des États-Unis allait soutenir leur action contre Doha. Or Donald Trump n’est pas l’administration américaine à lui tout seul. Le Qatar est aussi un allié stratégique de l’Amérique, puisque la principale base militaire du Pentagone au Moyen-Orient se situe à Al-Udeid dans l’émirat, ce que le président américain avait sans doute oublié. Au sein de l’Administration, le département d’Etat et celui de la Défense ont pesé de tout leur poids pour éviter une escalade inutile pour les Etats-Unis et l’émir du Qatar a même été reçu en avril dernier à la Maison-Blanche. Car la vraie priorité de Washington dans la région est l’Iran et les querelles entre monarchies du Golfe affaiblissent l’alliance anti-Téhéran que souhaitent bâtir les États-Unis.

Un an après, le Qatar n’a donc pas plié et le quartet n’a quasiment rien gagné. L’opération est un fiasco et Riyad comme Abou Dhabi le savent. La question pour eux maintenant est de savoir comment sortir d’un blocus inutile et coûteux pour toute la région sans perdre la face. Aucun médiateur n’a aujourd’hui la réponse, bien qu’ils soient nombreux à avoir essayé. Il ne reste plus qu’à espérer que cette absence de solution ne pousse pas l’Arabie Saoudite ou les Émirats Arabes Unies à mener des actions inconsidérées qui pourraient embraser une région déjà sous très haute tension.
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