ANALYSES

Trump a encore surpris en annulant sa rencontre avec Kim Jong Un, mais ça n’est pas le plus inquiétant

Presse
25 mai 2018
Interview de - Le Huffington Post
Une fois de plus, Donald Trump a réussi à bouleverser tous les équilibres autour de lui: en annulant sa participation au sommet de Singapour, le Président américain a déclenché une avalanche de réactions. Il faut dire qu’il a une fois de plus agi brutalement, aussi brusquement que lorsqu’il en avait accepté le principe d’ailleurs, là aussi à la stupéfaction générale. La surprise a donc encore été totale autour de lui, laissant le monde coupé en deux, entre ceux qui imaginaient bien que cela allait arriver et ceux qui n’en revenaient pas, les plus critiques parlant de nouvelle foucade.

Le principe d’incertitude

On en a maintenant l’habitude avec le 45e président. Il ne faut s’attendre à rien sur le plan international car les évidences n’existent plus: encore et toujours, l’hôte de la Maison-Blanche applique son principe d’incertitude qui, d’après ses propres mots, lui permet de garder la main dans la négociation. Cela s’applique donc aussi à un tel sommet et Donald Trump n’hésite jamais à faire volte-face, déchirer les engagements ou reprendre toutes ses billes. C’est à ce prix là, a-t-il souvent expliqué, qu’il peut emporter la mise.

Rendre sa grandeur à l’Amérique

Cette fois-ci, c’est donc presque au nom de son slogan de campagne que Donald Trump a annulé ce sommet, reprochant à Kim Jong-Un son « hostilité » et les propos tenus par un de ses proches à l’égard du vice-président des Etats-Unis, qualifié imprudemment de « politicien nul ». L’honneur des Etats-Unis doit donc être respecté au plus haut point d’après la Maison-Blanche, et on a semble-t-il un peu vite oublié dans cet épisode tous ceux du passé, au cours desquels il fut question de feu et de fureur, de destruction de la Corée, de « petit homme fusée » ou autre, ainsi que le ton qui a pu être utilisé de part et d’autres, avec des invectives directes et parfois très fortes entre les deux leaders.

Cela ressemble à un prétexte

Cet oubli n’est pourtant pas général et, en dehors de la Maison-Blanche, tout le monde s’est quand même étonné que tout soit ainsi stoppé sur un tel motif. L’enjeu est tellement grand et les efforts déployés, notamment par Moon Jae-In en Corée du Sud, ont été tellement importants que la réaction ne pouvait qu’être à la hauteur de l’incompréhension. La constatation faite par Donald Trump lui-même a été largement partagée par tous: « cette occasion ratée est un moment très triste dans l’histoire ».

Les critiques fusent

Sur les réseaux sociaux comme dans les médias, les réactions ont été immédiates et les Etats-Unis –voire le monde– s’est à nouveau divisé entre ceux qui soutiennent Donald Trump et ceux qui ne le supportent pas. Pour les plus critiques, ce président ne fait pas mieux que ses prédécesseurs, contrairement à ses prétentions, et s’est fait balader par le dirigeant de Corée du nord. Pour les tenants de cette ligne, Trump est le grand perdant dans cette annulation. Les commentaires désobligeants sur Trump se sont alors multipliés, mettant en exergue à nouveau son incapacité à gouverner, sa stupidité ou sa folie. Pour ce camp, il ressort clairement que Trump s’est fait manœuvrer par le dirigeant nord-coréen, comme il l’a également été par la Chine sur les négociations commerciales. Un incapable, donc. On sentait aussi beaucoup de soulagement alors que la perspective d’un prix Nobel de la paix s’éloignait pour cet homme…

Les démocrates aussi

C’est à peu de chose près la stratégie dans laquelle s’est immédiatement engouffré Bob Menendez, qui n’est pas, pour sa part, dépourvu de sens commun ou de connaissances sur le sujet : il est membre de la puissante commission des affaires étrangères au Sénat. Or, au moment précis de l’annonce par le président Trump, cette commission auditionnait Mike Pompeo, le ministre des Affaires étrangères. L’échange entre les deux hommes a été particulièrement musclé, lorsque Bob Menendez a déclaré lui-aussi qu’il s’agissait d’une reculade et a sous-entendu que cela permettait de sauver un président qui n’était pas prêt pour un tel sommet. « Nous étions totalement prêts », a répliqué sèchement le ministre. En pleine campagne électorale et alors que la perspective du sommet dopait outrageusement la côte de popularité de Trump, l’occasion est trop belle pour les démocrates et ils ne la laissent évidemment pas passer. Nancy Pelosi a repris sans surprise le même couplet quelques heures plus tard.

Faut-il s’inquiéter?

Pourtant, Kim Jong-Un n’a rien gagné dans toute cette histoire et les Etats-Unis peuvent se vanter de ce résultat: il n’a pas rencontré Donald Trump, n’a pas été admis au cénacle des nations, n’a pas gagné la levée d’une seule sanction, à démantelé son site d’essais nucléaire et a libéré les trois otages américains. Il pourra blâmer tant qu’il voudra celui qui ne veut plus être son interlocuteur, le seul perdant, c’est lui, peut expliquer Donald Trump. Reste que la question qui se pose au monde aujourd’hui est celle de l’avenir: car si les discussion s’arrêtent, cela veut-il dire que nous retournons dans le monde d’il y a quelques mois, celui où l’un menaçait d’envoyer des missiles sur le Japon, ou un territoire américain et l’autre lui promettait de le détruire? Cette perspective est plutôt inquiétante, et il reste à espérer que le président américain a juste agi ainsi pour obtenir quelque chose de plus de son homologue dans la discussion.

Pas un politique, mais un businessman

La lettre qu’il a envoyée à Kim Jong-Un contient peut-être la solution à cette énigme: elle est étonnante par son contenu, un mélange de main tendue et d’amabilités, combinés à des menaces qui ne sont même pas voilées. On reconnaît le style habituel de l’homme d’affaire, qui joue sur le bluff, un outil qu’il a toujours défendu comme faisant parti de l’arsenal de la négociation dans le monde des affaires. On comprend que le sommet est annulé sans l’être ou, pour paraphraser sa déclaration de mardi, alors que Moon Jae-In se tenait à ses côtés: « peut-être cela arrivera-t-il plus tard ».

Le monde est donc encore une fois soumis au régime de l’entreprise et le PDG mène la barque à sa guise, avec des règles du jeu qui ne sont pas forcément celles des autres partenaires. N’est-ce pas plutôt de cela dont il faut nous inquiéter?
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