ANALYSES

La guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis : ne pas se tromper d’enjeux

Presse
17 avril 2018

Après les annonces américaines, on parle de plus en plus de guerre commerciale et de spectre du retour au protectionnisme des années 1930. En fait, tout le monde se trouve dans une position assez inconfortable. Donald Trump est un « bad guy » quand il menace les Européens, mais les Européens envisagent tout de même de le rejoindre contre les pratiques jugées déloyales de la Chine. La Chine a pour sa part menacé de répliquer mais on sait que le grand perdant d’une guerre commerciale est plutôt celui qui engrange des excédents commerciaux record. Quand aux critiques de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et de la mondialisation dite libérale, les voilà pris au piège d’un dirigeant populiste qui dénonce lui-même le mythe du libre-échange et ne fait qu’appliquer apparemment ses promesses électorales. Les travaux du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII) (1) permettent d’y voir un peu plus clair. D’une part, les menaces sur l’acier et l’aluminium visent essentiellement les Européens et non la Chine, et appellent de leur part une réaction vigoureuse pour faire respecter le cadre multilatéral existant. À défaut de quoi la loi de la jungle, et donc du plus fort, risque fort de revenir en force dans les affaires internationales.


D’autre part, l’analyse des expériences passées de mesures protectionnistes sous les administrations Bush (2002) et Obama (2009) montre que les emplois directs et indirects n’y auraient rien gagné, tout au contraire, que les consommateurs américains auront payé plus cher finalement leurs produits, et que le seul gagnant, enfin, a toujours été les actions des entreprises américaines bénéficiaires. L’explication de Jean-François Boittin, un des meilleurs experts français du sujet, basé à Washington, est quant à elle sans ambiguïté : la rhétorique trumpienne de remise en cause de tous les accords passés et de l’impossibilité de régler les différends par les procédures contentieuses de l’OMC serait davantage liée à l’intégration des questions commerciales à la posture stratégique américaine qui désigne de plus en plus ouvertement la Russie et la Chine comme les deux adversaires prioritaires des États-Unis. D’où sans doute d’ailleurs le changement de ton rapide sur ses alliés canadien, mexicain ou européen.


Si tel est le cas, on peut craindre en effet l’enclenchement involontaire d’un engrenage de conflits commerciaux par la séquence classique d’un cycle de représailles alimenté par l’incohérence de Trump et notamment de deux effets économiques pervers pour les citoyens américains eux-mêmes. D’une part, la réforme fiscale annoncée par Trump devrait en fait accroître les déficits publics et donc les déficits commerciaux. D’autre part, la remontée de l’inflation due à des prix intérieurs plus élevés devrait accélérer la remontée des taux d’intérêt de la Fed et donc précipiter le retournement du cycle économique américain comme on le sent déjà sur les rails.


Au total, deux leçons se dégagent :


1. Oui, indéniablement, les règles du libre-échange organisé sous l’égide de l’OMC se marient mal avec l’évolution du capitalisme chinois 3.0 du président Xi Jinping, qui resserre notamment le contrôle de l’État dans tous les domaines.


2. Non, l’approche américaine d’une confrontation stratégique utilisant l’arme commerciale ne permet certainement pas d’apporter les corrections nécessaires à un système international qui n’a jamais su équilibrer les objectifs commerciaux avec ceux du plein-emploi et du respect de l’environnement.


Ce triangle d’une mondialisation équilibrée et probablement modérée qu’appelle de ses vœux l’économiste Dani Rodrik, par exemple, reste toujours sur la table de travail des progressistes.

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