ANALYSES

Derrière la visite d’Emmanuel Macron aux Etats-Unis, doit-on voir les bases d’un nouveau pont sur l’Atlantique ?

Presse
22 avril 2018
Interview de - Atlantico
48 heures avant son départ pour les Etats-Unis, Emmanuel Macron s’est s’exprimé dans un entretien accordé à Fox News sur sa vision de la collaboration entre lui et Donald Trump. La convergence des intérêts des deux leaders a été beaucoup commentée. Faut-il y voir – du point de vue de Donald Trump comme celui d’Emmanuel Macron – les premières bases d’un nouveau pont sur l’Atlantique ou l’affirmation d’intérêts communs dans un cadre bilatéral ?

Jean-Eric Branaa : Il est certain qu’on ne peut pas envisager cette visite comme une simple péripétie diplomatique. Elle a le rang de visite d’Etat et c’est un très grand honneur qui est rendu à notre pays, d’autant qu’il s’agit de la première visite d’Etat du côté américain depuis l’élection de Donald Trump. Cela nous incite donc à conclure que le président américain cherche à renforcer cette relation avec la France, et peut-être plus particulièrement encore avec Emmanuel Macron, dont la personnalité et sa victoire l’ont particulièrement impressionné.

On sait que Donald Trump accorde une attention toute particulière à la réussite individuelle. Il a été élevé dans le culte de la réussite et a fréquenté dans son enfance la Marble Collegiate Church, sur la 5e Avenue, où il écoutaitles sermons de Norman Vincent Peale. Plus que tout autre aux Etats-Unis, ce pasteur prêchait l’optimisme et encourageait à croire en sa bonne étoile, pour favoriser la réussite matérielle aussi bien que spirituelle. Donald Trump en a retenu que le succès est un but louable et qu’il accompagne le destin d’un élite, choisie par Dieu. Or il partage avec le président français un destin particulier, qui les a conduit l’un et l’autre jusqu’au sommet et leur a confié à chacun la charge de présider à la destinée de leurs pays respectifs.

Donald Trump respecte donc réellement Emmanuel Macron. La relation qu’il a nouée avec lui s’appuie sur un fondement sincère de respect et d’adoubement : c’est pourquoi on peut y voir, en effet, les bases d’un nouveau pont sur l’Atlantique, d’une relation «spéciale », ce qui signifie toujours « solide » en termes américains, tout comme elle le fut dans le passé entre George Bush et Tony Blair ou entre Barack Obama et Angela Merkel. Je ne pense pas que cette relation s’appuie sur des intérêts communs dans un cadre bilatéral mais bien plus certainement sur une certainement inclination qui n’est pas feinte du côté de Donald Trump, car il a montré à maintes reprises que c’est un affectif et qu’il croit que les relations se construisent d’abord sur le plan personnel. On note d’ailleurs que le programme de la visite, hors aspects protocolaires obligés, comme les visites à Arlington ou à des étudiants, reste centré sur la relation entre les deux hommes et ne laisse pas de place à d’autres échanges, qu’ils soient militaires ou commerciaux, par exemple.

Les deux hommes ont de nombreux points qui les rassemblent car, outre le pragmatisme, une brusquerie dans leur façon de gouverner ou le côté inattendu de leur élection à chacun, ils sont l’un comme l’autre habités par la certitude que tout cela devait leur arriver et que ce destin supérieur est amplement mérité. Le jeune président doit rappeler au président américain ce qu’il a été trente ans auparavant, et cela ne peut que renforcer son désir de se rapprocher encore de lui.

S’exprimant en anglais et honoré par cette première visite, quelle importance joue aujourd’hui Emmanuel Macron et donc la France dans la vision géostratégique et diplomatique de Donald Trump ?

Les intérêts géostratégiques et diplomatiques peuvent sembler bien mineurs à première vue, comparés à ceux qu’une relation avec les anglais ou les Allemands pourrait apporter à l’Amérique, comme ce fut le cas par le passé.

Mais la France est un grand pays, qui dispose d’un siège au conseil de sécurité de l’ONU et surtout, possède l’arme nucléaire. L’implication de notre pays dans le monde est majeure et les Américains savent bien qu’ils peuvent s’appuyer sur le savoir-faire et la haute technicité de notre nation dans le domaine militaire. La présence de la France en Afrique et son influence sur de nombreux terrains compliqués un peu partout sur la planète font de notre chef de l’état un interlocuteur incontournable.

Le changement aussi, depuis l’élection de Donald Trump, se trouve dans la volonté très clairement affichée par l’Oncle Sam de ne plus intervenir militairement partout et de se retirer autant que possible des zones de conflit qui n’affectent pas directement l’Amérique. Opportunément, le tropisme français sert donc la politique américaine et les deux pays y trouvent un intérêt commun, en se partageant les rôles. Il reste pourtant aux Français à convaincre les Américains de contribuer financièrement aux missions qui sont en cours et à celles qui sont prévues, comme pêle-mêle au Sahel, au Mali, en Centrafrique ou au Proche Orient.

Les intérêts diplomatiques des Etats-Unis se retrouvent enfin dans la position forte que la France a su retrouver au sein de l’Europe depuis l’élection de Donald Trump. Face à une opinion publique britannique qui lui est très défavorable et aux difficultés intérieures dans lesquelles se débat Theresa May, et face aussi à l’affaiblissement brutal de l’autorité d’Angela Merkel, qui a été confronté elle-aussi à des difficultés sérieuses sur le plan intérieur, Donald Trump trouve avec Emmanuel Macron un interlocuteur sérieux et solide au travers duquel il peut s’adresser à l’Europe.

Comment est perçue cette collaboration presque « amicale » de l’autre côté de l’Atlantique ? Voit-on en Emmanuel Macron un « ami de l’Amérique » ?

La relation entre les deux pays n’a jamais été remise en question, même s’il y a eu des hauts et des bas au cours de l’histoire. On se souvient bien évidemment des « freedom fries », les frites de la liberté, avec le remplacement du mot « French » qui désigne d’habitude cette façon de découper les pommes de terre, par « Freedom » ; mais cela reste vraiment anecdotique. Car si Jacques Chirac et Dominique De Villepin ont su alors résister aux Américains et nous éviter une participation dans la guerre en Iraq, l’émotion du même Chirac lorsqu’il a survolé les ruines du World Trade Center lors de sa visite à New York est resté un moment fort et que personne n’a oublié. On pourrait multiplier les exemples de ce type, mais à quoi bon? Nous partageons des philosophies politiques et une vision de monde, même si les nuances que nous y mettons les uns et les autres sont souvent très larges. Le général de Gaulle, un autre esprit indépendant et un caractère fort qui voulait préserver l’autonomie de manœuvre de la France en toutes circonstances, disait volontiers que cette relation est indestructible. Il l’a rappelé dans un entretien avec Michel Droit en 1965 : « Qui, en réalité, a été l’allié des Américains, de bout en bout, sinon la France ? Si le malheur devait arriver, et si la liberté du monde était en cause, qui seraient automatiquement les meilleurs alliés, de nature, sinon la France et les États-Unis ? »

Nos deux pays sont liés parce que la révolution américaine a reçu le soutien de la France et la présence de Lafayette à ses côtés. Puis nous avons à notre tour vu mourir des GI dans nos tranchées ou sur les côtes de Normandie, en 1918 ou en 1945. Ces épisodes en cachent des centaines d’autres, qui font que les liens d’amitiés, de culture, de tourisme, d’éducation, d’échanges d’étudiants, de commerce ou militaires sont innombrables et que ce sont eux qui ont tissé ce filin si solide entre nos deux pays.

Il n’y a, en vérité, aucune animosité contre notre pays aux Etats-Unis, même si certains se plaisent à essayer de le faire croire parfois. Et pourquoi y en aurait-il ? Depuis que les colons ont lancé leur révolution –en 242 ans donc– nous n’avons jamais été en guerre l’un contre l’autre !

Quelles sont les limites de cette entente cordiale ?

Il serait très naïf de ne pas voir objectivement qu’il y a une vraie limite à l’entente plus que cordiale du moment : car le président Trump a suffisamment répété qu’il ne s’engageait jamais pour une vie entière. Une telle promesse ne vaut que dans un cadre familial, qui est son espace de repli et de sécurité. Pour le reste–et sa relation avec Emmanuel Macron est bien à mettre dans ce cadre–, tout peut être défait. Les hommes et les femmes qui l’entourent ont bien compris ce point et se gardent tous de se projeter dans un avenir trop lointain pour ce qui est de leurs relations auprès de lui. Donald Trump a maintes fois expliqué que si quelqu’un n’est plus efficace au poste qu’il occupe, ou même n’est plus le plus efficace pour ce poste, alors il doit s’attendre à être chassé et remplacé. La relation avec le président français n’échappera pas à cette règle si l’opportunité du moment le commande.

Et puis il y a quelques dossiers, qui sont épineux et qui pourraient compliquer les relations entre les deux hommes. Le plus urgent, parce que le plus immédiat, est celui des barrières douanières entre nos deux pays s’agissant de l’acier et de l’aluminium. Si une solution est possible, Donald Trump a aussi fixé une limite –le 1er mai– qui rend critique la discussion à venir sur ce dossier. Une deuxième date s’annonce ensuite encore plus difficile, puisque le 12 mai, le président américain va clarifier sa position sur le nucléaire iranien. S’il dénonce l’accord de Vienne, cela pourrait déboucher sur une véritable crise diplomatique avec les autres signataires, dont fait partie la France. Rien n’est réglé non plus en Syrie, et l’annonce d’un retrait américain et son possible remplacement par une force arabe n’est pas forcément du goût de tout le monde.

Les dossiers critiques sont donc nombreux. Et, puis, pour les Français, il y en a un qui reste en haut de la pile, à savoir celui de l’environnement. Les deux présidents n’ont pas prévu d’en parler cette fois-ci mais le traditionnel cadeau d’Emmanuel Macron à son hôte pourrait bien inciter les commentateurs à le faire pour eux : la France va en effet offrir un jeune chêne, symbole de notre union parfaite, avec l’espoir qu’il soit planté dans les jardins de la Maison-Blanche. Si Emmanuel Macron arrive à faire planter cet arbre, il se dira qu’il peut continuer à espérer pouvoir faire revenir un jour Donald Trump à de meilleurs sentiments vis-à-vis de l’accord de Paris, qui a été quitté par les Américains le 1er juin dernier.
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