ANALYSES

« Moins on se découvre, plus on a de chances de rester au pouvoir « 

Presse
18 avril 2018
Après soixante ans de pouvoir des frères Castro à Cuba, l’Assemblée nationale de l’île va élire un nouveau président. Trois questions à Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) et spécialiste de l’Espagne et de l’Amérique latine, permettent de préciser les contours flous du futur diplomatique de l’île.

Quelle ligne politique peut-on attendre du nouveau président?

Dans ces régimes, il est très difficile de prévoir les décisions du comité central, qui se prennent derrière des portes closes.
Ces élections sont un peu comme l’élection d’un nouveau pape au Vatican : on ne sait pas ce qui se passe à l’intérieur, on doit attendre la fumée blanche. On n’est pas à l’abri d’une surprise du Parti communiste cubain, mais a priori, ce sera Miguel Diaz-Canel qui sera élu. Il a été formé et préparé à prendre la succession des frères Castro. C’est lui qui est là lorsque Raul ne l’est pas. Il représente la prochaine génération de ce système politique.
Dans ce type de régime, moins on se découvre, plus on a de chances de rester au pouvoir. Pour l’instant, tout semble indiquer que le régime va poursuivre une évolution à petits pas vers une ouverture économique, sans forcément d’ouverture politique. Mais là encore, ce ne sont que des hypothèses. Cette situation rappelle un peu l’accession au pouvoir de Gorbatchev, qui lorsqu’il a été élu à la tête du parti communiste soviétique paraissait être dans la droite ligne de ses prédécesseurs. Même Ronald Reagan, à l’époque, a estimé que rien n’allait changer. Il a fallu plusieurs mois pour que Gorbatchev ne rompe avec la ligne du Parti.

L’économie de Cuba est en partie soutenue par Venezuela, qui lui vend du pétrole à bas prix en échange de l’envoi de médecins cubains. Quelles conséquences pourraient avoir la crise dans ce pays sur Cuba ?

Au Venezuela, l’économie fonctionne mal, les revenus pétroliers baissent. Même si le régime actuel, qui fait preuve de « sympathie » envers Cuba, reste en place, le Venezuela ne peut plus vendre de pétrole en dessous du prix du marché. Cette situation ravive le souvenir à Cuba de la période de la fin des aides soviétiques dans les années 1990 : il s’en est suivi une période d’austérité très sévère. C’est pour cela que depuis quatre ou cinq ans, Cuba cherche à diminuer sa dépendance envers le Venezuela en se tournant vers d’autres pays.
Du côté européen, Cuba compte déjà beaucoup de capitaux français, espagnols, allemands ; mais aussi des capitaux colombiens, brésiliens, canadiens. Le régime essaye donc déjà depuis quatre ou cinq aux de se diversifier en se tournant vers les Etats Unis et la Chine. Mais depuis que Trump est au pouvoir, ce développement est devenu très incertain.

Miguel Diaz-Canel tient justement des discours ambivalents à propos des Etats-Unis : comment peut-il se positionner face à ce voisin imposant ?

Donald Trump reste très imprévisible dans sa ligne politique, ce qui est un élément de contrainte non négligeable sur la politique de Cuba. Si les Etats-Unis se montrent plutôt ouverts, plus de changements économiques voire politiques seront possibles. Mais si ce n’est pas le cas, cela aura des conséquences directes dans l’île.
Parmi les membres du parti communiste de Cuba, certains pensent que le mandat de Trump n’est qu’une parenthèse avant un retour à une politique de détente plus proche de celle d’Obama par le président suivant. D’autres au contraire pensent que ce durcissement de la position américaine est durable et qu’il faut donc se montrer intransigeant envers les Etats-Unis. C’est peut-être pour cela que les discours de Miguel Diaz-Canel sur les relations de Cuba avec ce pays paraissent contradictoires : cela lui permettrait, à l’avenir, de s’appuyer sur les uns ou les autres selon la tournure qu’aura pris la situation.
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