ANALYSES

La génération post-Columbine face à l’opportunisme de Trump

Presse
26 février 2018
Après le massacre perpétré dans le lycée Marjory Stoneman Douglas de Parkland, en Floride, par un ancien élève de 19 ans, Nikolas Cruz, qui faisait l’objet d’un suivi psychologique, Trump ne veut plus de « zone sans armes » dans les collèges et les lycées. Dans la palette de propositions qu’il dit vouloir porter afin d’éviter de nouveaux meurtres de masse en milieu scolaire, celle consistant à armer et à former au port d’armes environ 20 % des enseignants semble être sa priorité. En effet, avance-t-il, c’est précisément quand les armes ne sont pas tolérées dans les écoles que les « maniaques » passent à l’acte.

Or il se trouve que cette proposition d’armer les enseignants émane du puissant lobby des armes, la National Rifle Association (NRA), et qu’elle avait refait surface après la fusillade de l’école de Sandy Hook en 2012. 20 enfants et 6 adultes avaient alors été assassinés par Adam Lanza. L’argument, pour le moins paradoxal, est que plus il y a d’armes en circulation, moindre est le risque de tuerie… Le président a du reste qualifié, ces derniers jours, les responsables de la NRA de « gens formidables » et de « grands patriotes ». Après l’attentat du Bataclan, en novembre 2015, Trump, en pleine campagne électorale, avait affirmé que le massacre aurait pu être évité si les spectateurs avaient été armés.

Folie individuelle

Sur les autres propositions qu’il a formulées ces derniers jours, le président américain n’est guère plus crédible. Le 5 novembre 2017, Devin P. Kelley a abattu 26 personnes, dont plusieurs enfants, rassemblées pour l’office dans une église de Sutherland Springs, au Texas, avant de se suicider. Au sujet de Kelley, et sans rien connaître de son passé médical, Trump avait déclaré qu’il était « mentalement dérangé » et avait clos le débat. Autrement dit, ce crime n’aurait pas de cause structurelle mais relèverait de la responsabilité ou de la folie individuelle de son auteur. Il n’y aurait donc rien à faire.

Aujourd’hui, cependant, Trump dit avoir « parlé avec certains élus du Congrès » pour qu’ils réfléchissent à renforcer le contrôle des antécédents de quiconque souhaite acheter un fusil ou un pistolet, « et surtout les malades mentaux ». Or, le président, quelques semaines après son entrée en fonction, avait annulé une décision d’Obama consistant à limiter aux personnes souffrant de troubles psychiatriques l’accès aux armes à feu…

Il semble prêt à une autre petite concession sur le plan législatif : restreindre la vente d’armes semi-automatiques. Mais le président doit s’appuyer sur le Bureau of Alcohol, Tobacco, Firearms and Explosives, le service fédéral chargé de réguler les ventes d’armes à feu, qui manque cruellement de moyens et dont la pression de la NRA, à coup de dizaines de millions de dollars versés aux campagnes des élus, est parvenue à bâillonner le fonctionnement. Par exemple, ce service ne dispose pas de fichier électronique de traçabilité des armes vendues dans le pays. Pour l’heure, Trump s’en tient donc aux promesses, mais c’est un grand changement par rapport à l’automne 2017, car il n’avait rien annoncé après les tueries de Sutherland Springs et de Las Vegas.

La pression de la jeunesse sur les politiques

Après avoir, dans les heures suivant le drame de Parkland, laissé entendre que celui-ci relevait aussi de la responsabilité de la communauté locale, voire des lycéen·ne·s – « les voisins et les camarades de classe savaient » que Cruz « posait un gros problème » –, après avoir accusé le FBI de trop s’occuper de l’enquête russe et pas assez des délinquants, Trump vient en effet d’effectuer un revirement de stratégie face à l’ampleur de la contestation anti-armes menée par de nombreux jeunes et relayée par les chaînes de télévision. Cette génération, née après le massacre du lycée de Columbine, en 1999, et surnommée par la presse la « mass shooting generation », est entraînée, dans les collèges et les lycées du pays, à des protocoles pour faire face à ce type de tragédie. Le Washington Post a établi, à partir d’archives officielles, que plus de 150 000 collégien·ne·s et lycéen·ne·s d’au moins 170 établissements scolaires aux États-Unis avaient connu une fusillade sur leur campus depuis Columbine. Ces jeunes ont aussi un autre rapport aux médias que leurs aînés et ne se contentent plus de marches silencieuses et de prières.

À l’image d’Emma Gonzalez, rescapée de Parkland, plusieurs ont interpellé directement les hommes politiques, surtout les républicains, et dénoncé leurs liens financiers avec la NRA. Cette dernière dénonce sans vergogne la « politisation honteuse » de la tuerie de Parkland et contre-attaque en harcelant des lycéen·ne·s sur les réseaux sociaux et en répandant, par la voix de commentateurs médiatiques ultra-conservateurs, une fausse information complotiste selon laquelle ces adolescent·e·s seraient en réalité des actrices et des acteurs payé·e·s par la gauche et destiné·e·s à détruire le gouvernement en place. Des tweets complotistes ont été « likés » par l’un des fils du président.

Mais les choses bougent. En Floride, où les manifestations ont été nombreuses et virulentes, le gouverneur républicain Rick Scott, qui brigue un poste au Sénat à Washington en novembre, a annoncé plusieurs régulations du port d’armes, l’État étant jusqu’ici parmi les plus libéraux sur le sujet. Comme Trump, Scott a conscience que la population est divisée et qu’une colère contre les armes à feu gagne du terrain, et pas seulement chez les sympathisants démocrates.

Une empathie forcée

Trump, de son côté, a accepté de recevoir à la Maison blanche des lycéen·ne·s rescapé·e·s de différents écoles et établissements ayant connu une fusillade meurtrière (Parkland, Sandy Hook…) et des parents de victimes. La mise en scène savamment étudiée – le président et ses hôtes assis en arc-de-cercle comme dans un groupe de parole, Trump leur affirmant qu’il entendait leur douleur, qu’il souhaitait agir et qu’il attendait des propositions de leur part – a été mise à mal par le zoom d’une photo de presse sur les « anti-sèches » du président, qui, selon plusieurs médias, reflètent son manque d’empathie. Or il fallait faire oublier les photos désastreuses prises dans un hôpital de Floride où Trump posait, avec son épouse Melania, aux côtés d’une lycéenne blessée, de sa famille et du personnel soignant, tout sourire et le pouce levé.

Aux États-Unis, un petit quart de la population possède les presque 300 millions d’armes à feu en circulation, et 3 % en a plus de 17 millions, selon une étude réalisée par des chercheurs de Harvard. Le président, qui déplore les « zones sans armes » et pas le surarmement d’une partie des Américains, veut doter les enseignants de revolvers. Ces derniers jours, il a aussi accusé les jeux vidéos et Internet d’encourager la violence chez les jeunes. Un argument entendu après Columbine et qui n’a aucun fondement scientifique, au contraire de celui qui relie les tueries de masse à la masculinité toxique, comme le montre le sociologue Michael Kimmel dans son livre Angry White Men.
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