ANALYSES

Iran : pourquoi Emmanuel Macron a raison de tout tenter pour sauver l’accord sur le nucléaire iranien

Presse
6 mars 2018
Interview de Thierry Coville - Atlantico
Alors qu’une visite officielle d’Emmanuel Macron à Téhéran serait à l’ordre du jour, ce qui serait une première pour un grand pays occidental depuis la révolution islamique de 1979, comment expliquer cette volonté française d’obtenir une conciliation sur le dossier du nucléaire iranien ? Faut-il y voir une ambition économique d’ouverture se basant sur la réalité d’un commerce bilatéral franco-iranien étant passé de 515 millions d’euros en 2014 à 3.8 milliards d’euros au terme de l’exercice 2017, un plus haut depuis 2006, selon une note de la DG Tresor publiée le 14 février 2018 ? Cette approche économique peut-elle être une ambition raisonnable pour une orientation politique plus « favorable » du côté de Téhéran ?

Je ne pense pas que l’on peut expliquer la position de la France sur le nucléaire iranien par des considérations économiques. On peut rappeler que les exportations de l’UE vers l’Iran représentent que 0,5 % des exportations totales de l’UE (exportations extra-UE). La position française sur le nucléaire iranien est par ailleurs la même que celle des gouvernements allemand et anglais et que celle de l’UE. Tout d’abord, l’accord sur le nucléaire iranien est un traité international qui a été signé par l’Iran et les 5+1. L’Iran, d’après l’AIEA respecte ce traité. Il n’y a donc aucune raison pour les Etats-Unis d’en sortir. Deuxièmement, si les Etats-Unis sortent de cet accord, cela redonnera du crédit aux radicaux en Iran qui ont toujours été contre cet accord et qui souhaitent que l’Iran reprenne son programme d’enrichissement d’uranium sans respecter aucune limite posée par la communauté internationale. Certains parmi ces radicaux sont sans doute favorables à terme à une militarisation de ce programme nucléaire. Troisièmement, comment les Etats-Unis peuvent-ils être crédibles dans leur volonté de lutter contre la prolifération nucléaire en Corée du Nord s’ils ne sont pas capables de respecter l’accord iranien signé il y a 3 ans ?

Par contre, il faut bien comprendre qu’il existe une déception en Iran quant au fait qu’ils n’ont pas eu toutes les retombées économiques qu’ils attendaient de l’accord. Ainsi, du fait des sanctions financières américaines, aucune grande banque européenne n’est revenue en Iran. Ceci signifie que si la France et les autres pays européens peuvent développer leurs relations économiques avec l’Iran tout en prenant en arrivant à limiter l’impact des sanctions extra-territoriales américaines sur les entreprises (en convainquant l’administration américaine ou en étant plus « offensif » vis-à-vis de cette dernière), cela pourrait « légitimer » encore plus l’accord sur le nucléaire en Iran. Cela pourrait donner des arguments aux modérés en Iran pour qu’ils puissent imposer l’idée de négocier avec les européens sur d’autres sujets comme les missiles ou le rôle régional de l’Iran.

En quoi peut-on considérer le contexte actuel iranien comme une fenêtre d’ouverture pour la poursuite de négociations ? Les manifestations iraniennes de décembre dernier ne peuvent-elles pas révéler une nécessite de réformer pour le régime ?

Il est évident que ces manifestations et leur répression ont eu un très fort impact sur la scène politique iranienne. Même le Guide vient de demander des excuses pour l’incapacité du système à lutter contre la corruption. L’ancien président Ahmadinejad appelle lui à des élections libres … Même s’il ne faut pas surestimer la capacité des pays occidentaux à utiliser les crises politiques iraniennes internes à leur profit, il faut noter que ces manifestations ont mis en évidence l’ampleur des problèmes sociaux (chômage, corruption) qui persistent en Iran.

Ces difficultés donnent du grain à moudre en Iran à ceux qui disent que l’Iran n’a rien obtenu sur le plan économique suite à l’accord sur le nucléaire. On en revient à l’argument précédent. Si les européens arrivent à développer leurs relations économiques avec l’Iran et à limiter l’impact des sanctions américaines, cela permettrait au gouvernement iranien de démontrer que sa politique de normalisation avec l’occident a des retombées économiques favorables.

Il est vrai par ailleurs que la crise de décembre 2017 démontre à quel point les iraniens attendent des réformes économiques et politiques; Et pour l’instant, il semble que les radicaux privilégient la répression comme réponse à ces attentes … Néanmoins, on peut aussi penser (ou espérer) que le gouvernement iranien arrivera à mener les réformes économiques nécessaires et notamment à mettre en place une réelle privatisation. Cela serait sans doute la meilleure manière de répondre au mécontentement populaire lié à la question du chômage. Mais là encore, on peut noter que si les Européens sont capables d’accroître leurs investissements en Iran, cela pourrait soutenir cette politique d’ouverture économique (puisque l’investissement étranger pourrait favoriser le développement du secteur privé iranien).

Quels sont les risques d’une telle stratégie dans un contexte suspendu à la prochaine décision de Donald Trump sur le dossier nucléaire iranien ? Les échanges économiques entre Italie, France et l’Iran ne peuvent-ils pas être perçus que comme une approche purement commerciale dénuée de projet politique, comme cela peut-être dénoncé aux Etats-Unis ?

Je pense au contraire que c’est tout à l’honneur des Européens d’intervenir comme ils le font pour préserver la stabilité au Moyen-Orient en essayant de préserver l’accord sur le nucléaire. J’ai parlé plus haut des risques encourus si les Etats-Unis sortaient de cet accord. La véritable difficulté pour les Français et les Européens est qu’ils doivent démontrer à leurs interlocuteurs iraniens qu’ils ne jouent pas, avec cette intervention, les « intermédiaires » pour Donald Trump. On a plutôt le sentiment que les européens ont bien perçu cet écueil. De ce fait, tout ce qui peut donner de la consistance à la politique iranienne de l’UE renforcera sa crédibilité en Iran.
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