ANALYSES

Afghanistan : « Les djihadistes ont placé leurs hommes au sein de l’armée et de la police »

Presse
30 janvier 2018
Interview de Karim Pakzad - Le Point
Daech et les talibans sont responsables de trois attentats en dix jours perpétrés au cœur de Kaboul. Quelles sont les relations entre les deux groupes ?

Les deux organisations existent indépendamment l’une de l’autre. Daech, présent depuis deux ans en Afghanistan, grossit en raison de l’arrivée de combattants de Syrie. On a même identifié des djihadistes français dans le nord du pays. Daech compterait 400 hommes, mais ce chiffre va évoluer. Quant aux talibans, ils seraient officiellement 10 000, mais je crois qu’on peut multiplier ce chiffre par dix.
Il y a tout de même une distinction entre les deux groupes. Les membres de Daech sont exclusivement des guerriers. Les talibans sont un mouvement enraciné. Ils participent à la vie locale et certains d’entre eux sont parfois paysans un jour et combattants le lendemain.

Leurs relations varient selon les circonstances. Ils peuvent coordonner leurs actions dès qu’il s’agit d’attaquer la communauté des Hazaras de confession chiite. Mais ils s’affrontent aussi. Il y a quelques jours, dans le Nord, des combats ont fait 91 morts des deux côtés. On retrouve le même type de rapports qu’entretenaient Daech et le front al-Nosra en Syrie.

Leur rivalité est-elle à l’origine de la multiplication des attentats ?

Il n’y a pas de surenchère, mais une stratégie commune qui consiste à casser le moral de la population et à déstabiliser le régime. Et tous deux profitent de la faiblesse et de la porosité du pouvoir.

Faiblesse, car les autorités se déchirent. Il y a énormément de contestations au sein des institutions. Un exemple : le président a récemment destitué Atta Nour, le gouverneur de la province de Balkh, celui qui porte l’héritage de Massoud. Or, que s’est-il passé ? Celui-ci a décidé de rester à son poste tout en rejetant la légitimité du chef de l’État. C’est le problème : beaucoup de figures du pays ne reconnaissent pas ce régime mis en place par l’ancien secrétaire d’État américain John Kerry.

Au sein même de la population, peu favorable aux talibans, un changement se dessine. Ceux qui voyaient d’un bon œil la présence américaine ont désormais tendance à l’assimiler à une colonisation.

Et pourquoi évoquer la porosité du pouvoir ?

Parce que les structures de sécurité sont infiltrées. Les djihadistes ont placé leurs hommes au sein de l’armée et de la police. On les appelle les « forces vertes ». Les attentats de ces derniers jours n’auraient jamais pu se produire sans leur complicité. Dans le cas de l’ambulance qui a explosé, ce n’est pas un véhicule privé qui est en cause, mais bien une voiture récupérée auprès des hôpitaux. Quant à l’assaut lancé contre l’hôtel Intercontinental, on a retrouvé une kalachnikov dans le bureau du directeur.

Face à une telle dégradation quelle est l’issue ?

Pour l’instant, il n’y en a pas. 47 % du territoire et 42 % de la population sont désormais sous contrôle taliban. Une certitude : la solution n’est pas militaire. Ces seize années de guerre se soldent par un échec. Il faut donc engager un processus politique. Durant l’administration Obama, des contacts discrets s’étaient établis avec les talibans. Aujourd’hui, les Russes, effrayés à l’idée de voir le terrorisme se développer près de chez eux, souhaitent aussi des discussions. Ils ont formulé cette demande il y a dix jours. Sauf que Donald Trump bloque toute initiative. Il privilégie la force sans comprendre que l’envoi de 3 000 hommes supplémentaires ne change rien. On se souvient aussi de « la mère de toutes les bombes » larguée l’an dernier par Washington et qui a fait en réalité sept morts. Quel était l’intérêt ?

Que pensez-vous de la nouvelle politique américaine vis-à-vis du Pakistan ?

C’est là le plus grave. Donald Trump pense qu’accentuer la pression sur le Pakistan, dont chacun sait qu’il soutient les talibans, peut renverser la situation. Mais remettre en cause l’aide américaine ou même menacer d’intervenir militairement sur le sol pakistanais n’aboutit qu’à une chose : fragiliser le pouvoir à Islamabad et ouvrir la voie aux islamistes. Résultat, les relations entre les deux pays sont au niveau zéro et les attentats se poursuivent.
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