ANALYSES

Livre blanc de politique étrangère australienne : ce qu’il faut retenir

Tribune
6 décembre 2017
Par Alexandre Dayant, chercheur associé, Lowy Institute (Sydney, Australie)


Vendredi dernier, face à une cohorte d’experts en affaires internationales, le premier ministre australien, Malcom Turnbull, a présenté le « 2017 Foreign Policy White Paper », définissant la stratégie de politique extérieure de l’Australie de la décennie à venir.

Le « Foreign Policy White Paper », ou Livre blanc de politique estrangère, est un recueil d’informations objectives et factuelles rédigé par le ministère des Affaires étrangères (DFAT) définissant la stratégie générale de politique extérieure australienne pour les dix prochaines années.

La dernière composition en la matière remonte à 2003.

L’exercice, utile et nécessaire, n’en reste pas moins compliqué. Il s’agit en effet de concevoir l’environnement géostratégique dans lequel évoluera l’Australie d’ici à 2027. L’instabilité de l’actualité internationale ne facilite pas les choses. En témoignent d’ailleurs les nombreux changements qui sont advenus depuis le début de la rédaction de ce Livre blanc, il y a 15 mois : élection de Donald Trump, protectionnisme extensif des peuples américains – européens et accentuation de la crise nucléaire nord-coréenne.

Le document commence d’ailleurs avec cette affirmation : « Des conducteurs puissants convergent d’une manière qui remodèle l’ordre international et remet en cause les intérêts de l’Australie » ; « Les États-Unis ont été la puissance dominante dans notre région tout au long de l’histoire de l’après-guerre. Aujourd’hui, la Chine conteste la position de l’Amérique ».

La rhétorique centrale de ce document se concentre sur le fait que l’ordre international (« rules-based order »), la clé de voûte de la stabilité et prospérité australienne, est en danger. D’une part, parce qu’en cherchant à affirmer son statut de puissance mondiale auprès de la communauté internationale, la Chine chamboule l’ordre établi lors du dernier quart de siècle. D’autre part, parce que la montée des pensées protectionnistes antimondialistes émergeant aux quatre coins de la planète met à mal l’équilibre de cet ordre international, avec comme fer-de-lance les Etats-Unis de Donald Trump.

Première préoccupation : la Chine

D’après le DFAT, le PIB chinois devrait doubler d’ici à 2030. Sous l’influence du président Xi Jinping, la Chine convertit ses gains internes en influences externes et aspire à devenir le pouvoir prédominant en Asie. Dans son document, le gouvernement australien reconnaît l’importance de la Chine sur son échiquier géostratégique et souligne la valeur des relations sino-australiennes, surtout en termes économiques (ressources minières et bétails). Cependant, au fil du texte, le lecteur de ce Livre blanc pourra facilement palper l’anxiété et le désarroi australien vis-à-vis de la Chine.

En effet, la tactique de Pékin peut être définie comme bipolaire. Parfois, la diplomatie chinoise est très habile. Mais de plus en plus, son gain de confiance alarme ses voisins directs, concernant particulièrement son approche implacable des questions territoriales et de sa conduite d’opérations d’influences dans d’autres pays, y compris en Australie. A l’heure actuelle, nous ne savons pas comment la politique extérieure de la Chine se développera à mesure que sa domination augmente et que l’autorité du Parti se concentrera sur la personne de Xi.

Jusqu’à présent, la trajectoire soulève des inquiétudes. Il est d’ailleurs mentionné que l’Australie et la Chine ont « des intérêts valeurs, et système politiques et légaux différents ».
C’est pour cela que le Livre blanc suggère que la meilleure option pour l’Australie est « d’élargir et d’approfondir » son alliance avec les États-Unis.

Seconde préoccupation : les Etats-Unis

Les États-Unis sont le seul pays capable de mener une politique mondiale sans précédent et de projeter son pouvoir partout sur la planète. Pendant trois quarts de siècle, la présence avancée des États-Unis en Asie a soutenu la stabilité régionale entourant l’Australie.

Cependant, dans son Livre blanc, le gouvernement australien s’alarme du déclin de l’influence et du pouvoir militaire américain dans la région, ainsi que du dédain de Donald Trump envers les conventions économiques internationales. En moins d’un an, il a déjà délaissé le TPP, l’ALENA, et l’Accord de Paris sur le climat.

Malgré les répétitions, tout au long de l’exercice, que les Etats-Unis sont et resteront le plus important allié et partenaire de l’Australie, il semble que Canberra ne croit plus en sa propre rhétorique.

Vers un nouvel ordre régional

Ce contexte pousse donc le gouvernement australien à rediriger son attention diplomatique vers sa région – en particulier sur ce qu’il appelle la région «Indopacifique». Canberra a adopté le label indopacifique parce qu’il considère l’Inde comme une future puissance économique et, plus important encore, comme une protection contre la Chine. Face à un allié américain incertain et à une Chine plus assertive, le gouvernement australien considère les partenariats avec les grandes démocraties indopacifiques – Inde, Japon, Indonésie et Corée du Sud – comme le meilleur moyen de façonner le futur ordre régional.

La décision de l’Australie d’accorder une plus grande attention diplomatique et économique à ses voisins régionaux est un changement bienvenu et nécessaire. Mais son accent sur le caractère démocratique des pays avec lesquels il choisit de s’associer est problématique. Une telle stratégie entravera probablement la capacité de l’Australie à approfondir son engagement avec les gouvernements de différentes strates politiques en Asie du Sud-Est – une région extrêmement importante pour les intérêts économiques de l’Australie.

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Dans son introduction au Livre blanc, le Premier ministre affirme à juste titre que « plus que jamais, l’Australie doit être souveraine et indépendante » si elle veut prendre le contrôle de son avenir et sauver son bien-aimé ordre régional. Le Livre blanc est une tentative de prendre le contrôle de cet avenir, mais les défis peuvent être au-delà de son influence.
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