ANALYSES

Sommet de Sotchi : la Russie déroule sa feuille de route en Syrie

Interview
25 novembre 2017
Le point de vue de Jean de Gliniasty


Ce 22 novembre a eu lieu à Sotchi une rencontre trilatérale à l’initiative de Moscou réunissant les chefs d’Etats russe, turque et iranien. Les échanges ont été consacrés au règlement politique du conflit qui déchire la Syrie depuis plus de 5 ans, alors que d’autres rendez-vous déterminants vont aussi avoir lieu très prochainement. Pour nous éclairer le point de vue de Jean de Gliniasty, directeur de recherche à l’IRIS, ancien ambassadeur de France en Russie.

Ce sommet diplomatique consacré au règlement politique du conflit syrien et réunissant la Russie, l’Iran et la Turquie, 3 semaines après la dernière rencontre d’Astana et à quelques jours avant la rencontre de Genève, possède-t-il une temporalité particulière ? Assistons-nous à une véritable diplomatie alternative aux enceintes onusiennes ?

C’est la première fois que les trois présidents Vladimir Poutine, Recep Tayyip Erdoğan et Hassan Rohani, se réunissent. Jusque-là, les réunions de travail avaient été organisées entre les ministres des Affaires étrangères des différents pays. Cette rencontre avait été précédée, lundi dernier, par celle entre le président russe et Bachar al-Assad.

La Russie a bien été à l’initiative de l’ensemble des pourparlers. Il s’agit d’un nouveau processus engagé après les victoires militaires contre les organisations terroristes revendiquées par les Iraniens et les Turcs. Les Russes ont manifesté davantage de prudence quant au caractère définitif de la victoire militaire sur l’Etat islamique.

Cette nouvelle phase semble être maîtrisée de bout en bout par Moscou et elle tient à le faire savoir en organisant ce sommet et en annonçant la tenue d’un Congrès de l’opposition syrienne. En parallèle, devaient se réunir à Ryad, les groupes de l’opposition syrienne y compris les plates-formes de Moscou et du Caire qui sont prêts à s’accommoder de Bachar al-Assad, les modérés, ainsi qu’une partie des organisations salafistes. La réunion a été compromise par le refus d’une partie des groupes d’opposition de renoncer à la condition d’un départ préalable du président syrien.

Le Haut Comité des Négociations, organisme qui représentait les intérêts de l’opposition syrienne à Astana était d’obédience occidentale et saoudienne. Il devra tôt ou tard se fondre dans une organisation plus vaste qui sera représentative de l’ensemble des acteurs et reconnaître que le départ de Bachar al-Assad ne constitue plus un préalable (orientation qui a d’ailleurs provoqué la démission de certains membres du Haut comité). Les Russes et leurs interlocuteurs se concertent donc en vue d’une véritable négociation.

Ces initiatives russes ne me semblent pas en opposition avec la diplomatie de Genève. La résolution n°2254 du Conseil de sécurité de l’ONU a été mentionnée à de nombreuses reprises à Sotchi. Le cadre des pourparlers reste celui qui a été fixé par l’ONU lors de la seconde réunion de Genève et il n’est d’ailleurs contesté par personne. La prochaine réunion, annoncée pour le 28 novembre formalisera les avancées déjà obtenues, les travaux seront sans doute allégés au vu de ceux accomplis par les diplomaties russe, turque et iranienne avec, semble-t-il, un certain concours de Ryad. Genève sera de toute façon le couronnement du processus s’il réussit.

Avec la multiplication de ces initiatives, la Russie s’est-elle imposée comme un acteur politique incontournable dans la crise syrienne mais plus globalement à l’échelle régionale du Moyen-Orient sur le long terme ?

La Russie s’est imposée indéniablement sur la scène régionale mais sa victoire n’est pas consolidée. La première action de Vladimir Poutine après la rencontre de Sotchi avec Assad a été d’appeler les Américains, les Saoudiens et les Israéliens. Ils constituent à eux trois l’axe anti-iranien qui tient dans ses mains le succès ou l’échec du processus actuel. Il n’est pas certain que ces pays se prêteront à un processus diplomatique qui marquerait, dans une certaine mesure, une victoire pour Téhéran.

Dans sa conférence de presse, Vladimir Poutine a déclaré que des concessions étaient nécessaires de la part de chacun des acteurs. Les Russes demandent que les Turcs acceptent la participation des Kurdes aux négociations. Sur ce point, Dimitri Peskov, porte-parole du Kremlin a annoncé que les négociations devaient être inclusives. Le régime syrien devra également faire des concessions ; or, Bachar al-Assad considère qu’il a toutes les cartes en main et que les soutiens russe et iranien lui sont acquis quelle que soit l’issue des négociations. On est donc au seuil d’une nouvelle étape, mais rien n’est encore acquis pour la Russie.

La pro-activité de la Russie sur la dimension politique du règlement du conflit syrien est-elle la seconde phase des opérations militaires lancées trois ans plus tôt alors que Moscou vient d’annoncer une possible diminution de ses forces engagées sur le terrain  ?

La presse a bien évidemment annoncé qu’il s’agissait d’une seconde phase. Poutine lui-même avait déclaré que les opérations militaires étaient terminées. Sur le temps long, on observe néanmoins que cette offensive diplomatique a démarré depuis longtemps.

Il y a en réalité un paradoxe : si l’axe Washington/Ryad/Tel Aviv donne un satisfecit à la Russie, on s’achemine vers une solution qui est celle soutenue par les Russes lors de la première réunion de Genève le 30 juin 2012. Celle-ci prévoyait des élections libres et un strapontin pour l’opposition non-armée.

Cette phase constitue une consolidation des résultats militaires russes mais Moscou est parfaitement conscient que rien ne pourra être fait sans l’aval de Washington car les Américains ont un pouvoir de nuisance ou d’impulsion très puissant, tout en se tenant à l’écart du processus initié par Moscou. On assiste en tout cas à la création d’un nouvel équilibre au Moyen-Orient. Equilibre au sein duquel la diplomatie française, totalement marginalisée depuis deux ans, pourrait retrouver une place par l’intermédiaire du dossier libanais.
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