ANALYSES

« L’inclusion sociale par le sport n’est pas si évidente à mettre en œuvre »

Presse
22 novembre 2017
L’IRIS, France terre d’asile et la Fédération française de… badminton ont mené une opération commune pour permettre aux réfugiés de pratiquer ce sport avec des licenciés, afin de les aider à mieux s’intégrer socialement. Chercheurs, acteurs associatifs et sportifs ont ainsi pu analyser comment les réfugiés s’intégraient. Parce que l’inclusion sociale ne se fait pas sur un simple claquement de doigts.

Le sport, facteur d’inclusion sociale : le concept relève d’une évidence sociologique. En quoi l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), qui travaille sur les relations internationales, est-il concerné par ce thème ?

L’Iris est un think tank spécialisé dans les relations internationales. Depuis une vingtaine d’années, nous travaillons, entre autres, sur la géopolitique du sport. C’est-à-dire que nous cherchons à comprendre et expliquer de quelle manière le sport a un impact politique, économique, diplomatique sur les relations entre les États, les organisations internationales etc. Si nous travaillons principalement sur les thématiques de la diplomatie sportive ou de l’intégrité du sport, nous nous sommes également intéressés au rôle sociétal que peut avoir le sport. En effet, plusieurs études mettent en évidence le rôle important que peut avoir le sport, dans certaines conditions, pour favoriser l’inclusion sociale.

Compte tenu de l’arrivée de personnes migrantes au cours des dernières années sur le territoire européen, l’idée a germé d’utiliser le sport comme vecteur d’intégration pour ces populations au sein des sociétés d’accueil. Aussi, avec le projet des « Volants de l’Union », nous avons décidé de passer de la théorie à la pratique et de voir, concrètement, comment le sport, ici le badminton, pouvait être un facteur d’inclusion sociale. Afin de maximiser nos chances de succès, nous avons décidé aussi d’inclure dans ce programme, les étudiants de l’Iris Sup (l’école rattachée au centre de recherche). Par la création de binômes/trinômes « étudiants-réfugiés », nous pensions que l’inclusion sociale n’en serait que facilitée. Dans le cadre de ce programme qui s’est déroulé de mars à juin, la Fédération de badminton, Solibad, France terre d’asile et le BDE de l’Iris Sup’ ont été des acteurs quotidiens du bon fonctionnement de ce projet, en partenariat avec l’Iris.

Expliquez-nous les fondations de ce partenariat…

L’idée du projet a émergé au cours de discussions entre l’Iris et la Fédération française de badminton qui souhaitait développer une action d’inclusion sociale. Nous avons présenté le projet à France terre d’asile qui a tout de suite adhéré au projet et c’est ainsi que nous avons pu construire, en partenariat avec l’association Solibad, la participation du bureau des étudiants d’Iris Sup et le soutien du ministère en charge des Sports, ce projet. L’idée était donc de faire pratiquer le badminton à des réfugiés avec des étudiants d’Iris Sup, au sein de clubs franciliens mobilisés pour l’occasion. Soyons clairs, il ne s’agit en aucun cas de se substituer aux associations spécialisées dans l’accueil de réfugiés, mais au contraire, d’arriver en complément de cet accompagnement.

Chaque partenaire (Iris, France terre d’asile, Fédération de badminton, Solibad, IRIS Sup) a eu à cœur de mettre en avant son domaine de compétence et d’échanger ensemble sur un sujet qui, jusqu’à présent, était traité par chacun via son prisme. Or, pour ce projet, nous avions besoin de toutes les compétences des partenaires pour le mener à bien. Le sport bénéficie de cet avantage d’effacer l’étiquette de ceux qui le pratiquent. Sur un terrain de sport, l’origine, la situation sociale, la religion d’un joueur n’a pas d’importance. Le binôme est composé de coéquipiers, qui sont donc au même niveau et dont le seul but est de prendre du plaisir. Au-delà de l’idée, relativement simple, il a fallu s’atteler à la construction méthodologique de ce projet. Si nous voulions un projet durable et avec des effets sur les court et moyen termes, il fallait mettre en place une organisation de jeu, des rendez-vous réguliers, des solutions si un problème survenait, afin de pouvoir créer des relations pérennes entre le binôme lui-même et le club d’accueil.

Le football ou le rugby n’auraient pas pu entrer dans le champ de cette expérimentation ?

Même si nous avons fait le choix du badminton pour ce projet, il faut garder en tête que la structure est parfaitement reproductible pour tous les sports, individuels comme collectifs. Pour les « Volants de l’Union », le choix du badminton a été motivé par plusieurs raisons : la simplicité de ses règles, sa mixité du sport, la simplicité du matériel et sa non-violence. Même si certaines personnes n’avaient jamais joué auparavant à ce sport, tous ont pu échanger quelques volants, sans trop de difficulté. En parallèle de notre projet, nous avons vu beaucoup d’autres initiatives naître dans d’autres sports : football, volley-ball, etc., et ce, partout sur le territoire.

Comment ce partenariat a-t-il pris forme ?

Une fois l’ensemble des partenaires mobilisés, nous avons lancé, le 15 mars 2017 au gymnase Suzanne Berlioux à Paris, une session inaugurale réunissant l’ensemble des réfugiés et des étudiants partant pour ce projet, soit plus d’une cinquantaine de personnes, encadrées par des intervenants de la Fédération de badminton, de Solibad et de France terre d’asile. Convaincus par le bien-fondé de la démarche, compte tenu de l’engouement et l’enthousiasme des participants, nous avons créé des binômes/trinômes et les avons affectés auprès de clubs solidaires pour qu’ils puissent aller pratiquer ce sport. Treize clubs au total, répartis en Ile-de-France, ont accepté de participer à ce projet. Au final, le sport n’est jamais qu’une excuse. Ces rencontres permettaient aux binômes d’échanger, de parler français, de faire découvrir la France, Paris sous un nouveau jour, et de se familiariser avec l’organisation du pays. À l’occasion de la journée mondiale des réfugiés le 20 juin, nous avons organisé, à l’Iris, une conférence-débat permettant de tirer les premières conclusions de ce projet. Cela nous a permis de noter aussi l’intérêt important que ce type de projet suscitait dans l’assistance avec des échanges sur d’autres types d’initiatives du même ordre.

Comment l’expérimentation va-t-elle être prolongée ?

Nous sommes actuellement en train de synthétiser l’ensemble des retours des binômes et des dirigeants de clubs afin d’améliorer le projet, en corrigeant les erreurs, et faire en sorte de s’améliorer. Pour inscrire la démarche dans la durée, il faut anticiper les risques, sécuriser les parcours. Nous souhaitons poursuivre ce projet dans les années futures et ne pas nous arrêter à cette expérimentation. L’idée est de trouver des financements pour arriver à développer un projet pérenne sur l’Ile-de-France, mais aussi à l’échelle nationale. L’important, pour nous, était de confronter tous les acteurs avec la réalité du terrain. Le présupposé du sport comme facteur d’inclusion sociale n’est pas si évident que ça. Un rapport publié par le Conseil de l’Europe en 2010 (1) met en évidence à la fois les limites et les bénéfices du sport comme facilitateur d’inclusion des réfugiés. Il ne tient qu’à nous de réunir toutes les conditions pour faire en sorte que ce type d’initiative puisse se reproduire et se multiplier.

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(01) « Le sport à l’épreuve de la diversité culturelle », William Gasparini et Aurélie Cometti, Editions Conseil de l’Europe, 2010.
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