ANALYSES

Crise en Espagne : « La Catalogne n’est pas le Kurdistan irakien »

Presse
3 octobre 2017
Interview de Jean-Jacques Kourliandsky - RT
Après les violences qui ont émaillé le référendum sur l’indépendance de la Catalogne plusieurs syndicats indépendantistes ont appelé à la grève générale. La situation risque-t-elle de s’embraser ?

C’est difficile à dire. Ce qui est certain est que la Catalogne n’est pas le Kurdistan irakien. Il n’y a pas de groupes armés pour faire valoir les droits à l’indépendance de la Catalogne et il n’y a pas un consensus aussi large qu’au Kurdistan pour défendre l’option de l’indépendance.

Néanmoins, dans la mesure où les uns – le gouvernement de Madrid – et les autres – le gouvernement indépendantiste à Barcelone – se revendiquent comme démocrates, il faudra bien à un moment que le conflit aboutisse à l’ouverture d’un dialogue. Ce qui va s’avérer assez compliqué, car les esprits se sont échauffés. Le gouvernement espagnol est tombé dans le piège de l’utilisation de la force publique pour empêcher un vote qui, de toute façon, n’avait aucun effet légal et était inconstitutionnel. Le spectacle qui a été donné le 1er octobre n’est pas de nature à faciliter la reprise d’un dialogue.

L’ONU a appelé à l’ouverture d’une enquête sur les violences policières. En Catalogne, dans le reste de l’Espagne et au sein de l’UE, il y a une division politique, entre ceux qui promeuvent le respect de la souveraineté du pays et ceux qui dénoncent des violences. Cela favorise-t-il les indépendantistes ? Peuvent-ils obtenir des soutiens internationaux plus larges ?

L’Union européenne reste à l’écart du fond du dossier même si, effectivement, les modes d’action du gouvernement espagnol ne sont pas de nature à lui créer des sympathies. Au contraire, ils suscitent de nombreuses critiques. La violence à laquelle on a assisté – la police nationale intervenant pour empêcher la tenue d’un vote de toute façon illégal et sans effet – était quelque part ce qu’attendaient les autorités catalanes afin d’apparaître sur les réseaux sociaux et dans les médias comme victimes d’une oppression que certains n’ont pas hésité à qualifier de répression rappelant ce qu’a connu l’Espagne sous la dictature franquiste.

Cela dit sur le fond, le dossier était mal engagé. Le gouvernement de Madrid refuse depuis l’arrivée du Parti populaire (PP) au pouvoir en 2011 toute négociation, tout dialogue sérieux pouvant aboutir à un compromis avec les partis nationalistes catalans. Ces derniers, devenus indépendantistes, n’ont pas cherché à nouer des liens avec d’autres forces politiques afin d’essayer de trouver une solution dans le cadre de la Constitution espagnole. C’est pourtant manifestement ce qu’attend une majorité de Catalans, si on en croit les sondages ainsi que les rapports de force apparus aux dernières élections catalanes, où les partis indépendantistes ont obtenu 48% des suffrages exprimés, soit une majorité de sièges mais une minorité de voix.

80% des Catalans (pro comme anti-indépendance) se disent favorables à la tenue d’un référendum légal et dans le cadre constitutionnel afin de régler définitivement la question. Est-ce selon vous la solution à cette crise ?

Tout comme une majorité de Catalans considèrent que ce qu’il s’est passé le 1er octobre n’est pas légal et n’est pas un référendum valable. Quant à la solution, tout le monde la connaît ! C’est le statut d’autonomie renforcé de la Catalogne qui avait été voté en 2006, avant d’être suspendu en 2010 à la demande du Parti populaire qui avait saisi le tribunal constitutionnel. C’était un statut qui, dans son exposé des motifs, reconnaissait la Catalogne comme nation dans le contexte de la nation espagnole et qui lui conférait des droits supplémentaires. Le Parti populaire a considéré que c’était inacceptable et a saisi le tribunal constitutionnel, qui lui a donné raison.

A partir de ce moment-là, la colère est montée du côté de Barcelone, mais une colère qui aurait pu être surmontée si un processus de modification de la Constitution avait été engagé, qui aurait permis de reposer le problème suspendu précédemment sur le statut d’autonomie de 2006, et le réintroduire. Mais il n’y a eu aucune offre alternative de la part du Parti populaire et de son gouvernement. Il y aurait pu y en avoir. Les nationalistes catalans de droite de Convergence réunion, devenu le parti démocratique de Catalogne, étaient prêt à trouver un compromis fiscal considérant que les ressources affectées à la Catalogne étaient insuffisantes. Selon eux, ils apportaient trop au fond de compensation pour les régions les plus pauvres de l’Espagne. Ils auraient souhaité disposer de capacités fiscales identiques à celles du Pays basque. Le gouvernement de Madrid, qui avait dit non à la reconnaissance de la Catalogne comme nation, a également dit non aux nationalistes de centre-droit sur la question fiscale.

De là, ces derniers ont fait alliance avec les indépendantistes de gauche, et on a assisté de 2012 à aujourd’hui à une radicalisation des relations entre les uns et les autres. Le gouvernement de Madrid et le Parti populaire ne faisant aucune proposition de nature à ouvrir une négociation, tandis que les nationalistes dérivaient progressivement d’une recherche d’autonomie renforcée à la volonté d’une indépendance, dans la mesure où Madrid ne proposait rien qui répondait à leurs attentes.

Mariano Rajoy ne dispose pas d’une majorité absolue et son gouvernement est assez impopulaire. Cette crise le met-il en difficulté ? Est-il désormais sur la sellette ?

La position du gouvernement et du PP sur la question catalane n’est pas liée au rapport de forces actuel. C’est une position idéologique. Le Parti populaire est l’héritier d’une vieille tradition de la droite la plus conservatrice du pays, qui considère que l’Espagne est une nation unique qui ne saurait se diviser en une espèce de conglomérat de multiples nations. L’électorat du Parti populaire partage ce point de vue. Aussi le PP, par son intransigeance vis à vis de la Catalogne, maintient son capital électoral et, de fait, se maintient au pouvoir depuis 2011.

C’est pourquoi, si Mariano Rajoy et le gouvernement sont aujourd’hui en difficulté, cette situation ne les conduit pas forcément à être plus ouverts sur la question catalane. D’autant qu’ils ont désormais en face d’eux un parti de centre-droit, Ciudadanos, qui s’est constitué pour la défense de l’unité nationale espagnole et contre les prétentions catalanes à plus d’autonomie et d’indépendance. Mariano Rajoy reste donc dans la logique de sa pensée sur l’avenir de l’Espagne et est soumis sur cette question-là à la concurrence de ce nouveau parti, qui s’est bâti il y a quelques années sur la question catalane.

Enfin, Mariano Rajoy va se retrouver en difficulté au moment de l’examen du budget, pour l’instant repoussé en raison de la crise catalane. Le Parti nationaliste basque – qui n’est pas un parti qui revendique comme les partis catalans l’indépendance – qui gouverne la région basque a annoncé qu’il n’était pas d’accord avec les méthodes judiciaires et policières utilisée par Madrid, et que ses cinq députés qui siègent actuellement au Parlement madrilène ne voteraient pas le budget, contrairement à l’année dernière. Comme on sait que Podemos [gauche radicale] ne votera pas non plus en faveur de ce budget et le Parti socialiste pas davantage, la perspective d’une dissolution du parlement espagnol resurgit. Et avec elle la tenue de nouvelles élections, dont l’un des thèmes principaux pourrait être celui de la résolution de la crise catalane.
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